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leur division, qu’il est nécessaire d’admettre une très longue période de temps ; en sorte que dans les vingt mille ans, j’en prendrais au moins les trois premiers quarts pour la multiplication des coquillages, le transport de leurs dépouilles et la composition des masses qui les renferment, et le dernier quart pour la division et pour la configuration de ces mêmes terrains calcaires : il a fallu vingt mille ans pour la retraite des eaux, qui d’abord étaient élevées de deux mille toises au-dessus du niveau de nos mers actuelles ; et ce n’est que vers la fin de cette longue marche en retraite que nos vallons ont été creusés, nos plaines établies, et nos collines découvertes : pendant tout ce temps le globe n’était peuplé que de poissons et d’animaux à coquilles ; les sommets des montagnes et quelques terres élevées, que les eaux n’avaient pas surmontés ou qu’elles avaient abandonnés les premiers, étaient aussi couverts de végétaux ; car leurs détriments en volume immense ont formé les veines de charbon, dans le même temps que les dépouilles des coquillages ont formé les lits de nos pierres calcaires. Il est donc démontré par l’inspection attentive de ces monuments authentiques de la nature, savoir, les coquilles dans les marbres, les poissons dans les ardoises, et les végétaux dans les mines de charbon, que tous ces êtres organisés ont existé longtemps avant les animaux terrestres ; d’autant qu’on ne trouve aucun indice, aucun vestige de l’existence de ceux-ci dans toutes ces couches anciennes qui se sont formées par le sédiment des eaux de la mer. On n’a trouvé les os, les dents, les défenses des animaux terrestres que dans les couches superficielles ou bien dans ces vallées et dans ces plaines dont nous avons parlé, qui ont été comblées de déblais entraînés des lieux supérieurs par les eaux courantes : il y a seulement quelques exemples d’ossements trouvés dans des cavités sous des rochers, près des bords de la mer, et dans des terrains bas ; mais ces rochers sous lesquels gisaient ces ossements d’animaux terrestres sont eux-mêmes de nouvelle formation, ainsi que toutes les carrières calcaires en pays bas, qui ne sont formées que des détriments des anciennes couches de pierre, toute situées au-dessus de ces nouvelles carrières ; et c’est par cette raison que je les ai désignées par le nom de carrières parasites, parce qu’elles se forment en effet aux dépens des premières.

Notre globe, pendant trente-cinq mille ans, n’a donc été qu’une masse de chaleur et de feu, dont aucun être sensible ne pouvait approcher ; ensuite, pendant quinze ou vingt mille ans, sa surface n’était qu’une mer universelle[NdÉ 1] : il a fallu cette longue succession de siècles pour le refroidissement de la terre et pour la retraite des eaux, et ce n’est qu’à la fin de cette seconde période que la surface de nos continents a été figurée.

Mais ces derniers effets de l’action des courants de la mer ont été précé-

  1. Ces chiffres, si forts qu’ils soient, sont de beaucoup inférieurs à la réalité.