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sans choquer la vraisemblance, que dans le choc de la comète contre le soleil il y a eu une force élastique qui aura élevé le torrent au-dessus de la surface du soleil, au lieu de le pousser directement ? ce qui seul peut suffire pour écarter le point du périhélie et donner aux planètes le mouvement qu’elles ont conservé ; et cette supposition n’est pas dénuée de vraisemblance, car la matière du soleil peut bien être fort élastique, puisque la seule partie de cette matière que nous connaissions, qui est la lumière, semble par ses effets être parfaitement élastique. J’avoue que je ne puis pas dire si c’est par l’une ou par l’autre des raisons que je viens de rapporter que la direction du premier mouvement d’impulsion des planètes a changé ; mais ces raisons suffisent au moins pour faire voir que ce changement est possible, et même probable, et cela suffit aussi à mon objet.

Mais, sans insister davantage sur les objections qu’on pourrait faire, non plus que sur les preuves que pourraient fournir les analogies en faveur de mon hypothèse, suivons-en l’objet et tirons des inductions ; voyons donc ce qui a pu arriver lorsque les planètes, et surtout la terre, ont reçu ce mouvement d’impulsion, et dans quel état elles se sont trouvées après avoir été séparées de la masse du soleil. La comète ayant par un seul coup communiqué un mouvement de projectile à une quantité de matière égale à la 650e partie de la masse du soleil, les particules les moins denses se seront séparées des plus denses, et auront formé par leur attraction mutuelle des globes de différente densité : Saturne, composé des parties les plus grosses et les plus légères, se sera le plus éloigné du soleil, ensuite Jupiter, qui est plus dense que Saturne, se sera moins éloigné, et ainsi de suite. Les planètes les plus grosses et les moins denses sont les plus éloignées, parce qu’elles ont reçu un mouvement d’impulsion plus fort que les plus petites et les plus denses ; car la force d’impulsion se communiquant par les surfaces, le même coup aura fait mouvoir les parties les plus grosses et les plus légères de la matière du soleil avec plus de vitesse que les parties les plus petites et les plus massives ; il se sera donc fait une séparation des parties denses de différents degrés, en sorte que la densité de la matière du soleil étant égale à 100, celle de Saturne est égale à 67, celle de Jupiter = 94 1/2, celle de Mars = 200, celle de la terre = 400, celle de Vénus = 800, celle de Mercure = 2 800. Mais la force d’attraction ne se communiquant pas, comme celle d’impulsion, par la surface et agissant au contraire sur toutes les parties de la masse, elle aura retenu les portions de matières les plus denses, et c’est pour cette raison que les planètes les plus denses sont les plus voisines du soleil, et qu’elles tournent autour de cet astre avec plus de rapidité que les planètes les moins denses, qui sont aussi les plus éloignées.

Les deux grosses planètes, Jupiter et Saturne, qui sont, comme l’on sait, les parties principales du système solaire, ont conservé ce rapport entre leur densité et leur mouvement d’impulsion, dans une proportion si juste qu’on doit en être frappé ; la densité de Saturne est à celle de Jupiter comme 67 à 94 1/2, et leurs vitesses sont à peu près comme 88 2/3 à 120 1/72, ou comme 67 à 90 11/16 ; il est rare que, de pures conjectures, on puisse tirer des rapports aussi exacts. Il est vrai que, en suivant ce rapport entre la vitesse et la densité des planètes, la densité de la terre ne devrait être que comme 206 7/18, au lieu qu’elle est comme 400 ; de là on peut conjecturer que notre globe était d’abord une fois moins dense qu’il ne l’est aujourd’hui. À l’égard des autres planètes, Mars, Vénus et Mercure, comme leur densité n’est connue que par conjecture, nous ne pouvons savoir si cela détruirait ou confirmerait notre opinion sur le rapport de la vitesse et de la densité des planètes en général. Le sentiment de Newton est que la densité est d’autant plus grande que la chaleur à laquelle la planète est exposée est plus grande, et c’est sur cette idée que nous venons de dire que Mars est une fois moins dense que la terre, Vénus une fois plus dense, Mercure sept fois plus dense, et la comète de 1680, 28 mille fois plus dense que la terre ; mais cette proportion entre la densité des planètes et la chaleur qu’elles ont à supporter ne peut pas subsister lorsqu’on fait attention à Saturne et à Jupiter,