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avons donné l’explication dans le second volume de cet ouvrage[1]. Ainsi, dans ces climats particuliers où le vent d’est règne pendant toute l’année, et passe avant d’arriver sur une étendue de terre très considérable où il prend une chaleur brûlante, il n’est pas étonnant que la chaleur se trouve plus grande de 5, 6 et même 7 degrés qu’elle ne l’est partout ailleurs. Et de même les froids excessifs de la Sibérie ne prouvent rien autre chose, sinon que cette partie de la surface du globe est beaucoup plus élevée que toutes les terres adjacentes. « Les pays asiatiques septentrionaux, dit le baron de Strahlenberg, sont considérablement plus élevés que les Européens ; ils le sont comme une table l’est en comparaison du plancher sur lequel elle est posée ; car lorsqu’en venant de l’ouest et sortant de la Russie on passe à l’est par les monts Riphées et Rymniques pour entrer en Sibérie, on avance toujours plus en montant qu’en descendant[2]. — Il y a bien des plaines en Sibérie, dit M. Gmelin, qui ne sont pas moins élevées au-dessus du reste de la terre, ni moins éloignées de son centre, que ne le sont d’assez hautes montagnes en plusieurs autres régions[3]. » Ces plaines de Sibérie paraissent être en effet tout aussi hautes que le sommet des monts Riphées, sur lequel la glace et la neige ne fondent pas entièrement pendant l’été : et si ce même effet n’arrive pas dans les plaines de Sibérie, c’est parce qu’elles sont moins isolées, car cette circonstance locale fait encore beaucoup à la durée et à l’intensité du froid ou du chaud. Une vaste plaine une fois échauffée conservera sa chaleur plus longtemps qu’une montagne isolée, quoique toutes deux également élevées, et par cette même raison la montagne une fois refroidie conservera sa neige ou sa glace plus longtemps que la plaine.

Mais si l’on compare l’excès du chaud à l’excès du froid produit par ces causes particulières et locales, on sera peut-être surpris de voir que dans les pays tels que le Sénégal, où la chaleur est la plus grande, elle n’excède néanmoins que de 7 degrés la plus grande chaleur générale qui est de 26 degrés au-dessus de la congélation, et que la plus grande hauteur à laquelle s’élève la liqueur du thermomètre n’est tout au plus que de 33 degrés au-dessus de ce même point, tandis que les grands froids de Sibérie vont quelquefois jusqu’à 60 et 70 degrés au-dessous de ce même point de la congélation, et qu’à Pétersbourg, à Upsal, etc., sous la même latitude de la Sibérie, les plus grands froids ne font descendre la liqueur qu’à 25 ou 26 degrés au-dessous de la congélation ; ainsi l’excès de chaleur produit par les causes locales n’étant que de 6 ou 7 degrés au-dessus de la plus grande chaleur du reste de la zone torride, et l’excès du froid produit de même par les causes locales étant de plus de 40 degrés au-dessous du plus grand froid sous la même latitude, on doit en conclure que ces mêmes causes locales ont bien plus d’influence dans les climats froids que dans les climats chauds, quoiqu’on ne voie pas d’abord ce qui peut produire cette grande différence dans l’excès du froid et du chaud. Cependant, en y réfléchissant, il me semble qu’on peut concevoir aisément la raison de cette différence. L’augmentation de la chaleur d’un climat tel que le Sénégal ne peut venir que de l’action de l’air, de la nature du terroir et de la dépression du terrain : cette contrée presque au niveau de la mer est en grande partie couverte de sables arides ; un vent d’est constant, au lieu d’y rafraîchir l’air, le rend brûlant, parce que ce vent traverse avant que d’arriver plus de 2 000 lieues de terre, sur laquelle il s’échauffe toujours de plus en plus, et néanmoins toutes ces causes réunies ne produisent qu’un excès de 6 ou 7 degrés au-dessus de 26, qui est le terme de la plus grande chaleur de tous les autres climats. Mais, dans une contrée telle que la Sibérie, où les plaines sont élevées comme les sommets

  1. Voyez l’Histoire naturelle, t. II, art. Variétés de l’espèce humaine, p. 137 et suivantes.
  2. Description de l’empire Russien, traduction française, t. Ier, p. 322, d’après l’allemand, imprimée à Stockholm, en 1730.
  3. Flora Siberica, Præf., p. 58 et 64.