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on ne peut pas douter de la vérité des faits comparés que nous ont appris les observations faites en différents pays avec ces mêmes thermomètres, construits et gradues de la même façon, parce qu’il ne s’agit ici que de vérités relatives et de résultats comparés, et non pas de vérités absolues.

Or, de la même manière qu’on a trouvé, par l’observation de cinquante-six années successives, la chaleur de l’été à Paris, de 1 026 ou de 26 degrés au-dessus de la congélation, on a aussi trouvé avec les mêmes thermomètres que cette chaleur de l’été était 1 026 dans tous les autres climats de la terre, depuis l’équateur jusque vers le cercle polaire[1] ; à Madagascar, aux îles de France et de Bourbon, à l’île Rodrigue, à Siam, aux Indes orientées, à Alger, à Malte, à Cadix, à Montpellier, à Lyon, à Amsterdam, à Varsovie, à Upsal, à Pétersbourg et jusqu’en Laponie, près du cercle polaire ; à Cayenne, au Pérou, à la Martinique, à Carthagène en Amérique et à Panama ; enfin dans tous les climats des deux hémisphères et des deux continents où l’on a pu faire des observations, on a constamment trouvé que la liqueur du thermomètre s’élevait également à 25, 26 ou 27 degrés dans les jours les plus chauds de l’été ; et de là résulte le fait incontestable de l’égalité de la chaleur en été dans tous les climats de la terre. Il n’y a sur cela d’autres exceptions que celles du Sénégal et de quelques autres endroits où le thermomètre s’élève 5 ou 6 degrés de plus, c’est-à-dire 31 ou 32 degrés ; mais c’est par des causes accidentelles et locales qui n’altèrent point la vérité des observations ni la certitude de ce fait général, lequel seul pourrait encore nous démontrer qu’il existe réellement une très grande chaleur dans le globe terrestre, dont l’effet ou les émanations sont à peu près égales dans tous les points de sa surface, et que le soleil, bien loin d’être la sphère unique de la chaleur qui anime la nature, n’en est tout au plus que le régulateur.

Ce fait important, que nous consignons à la postérité, lui fera reconnaître la progression réelle de la diminution de la chaleur du globe terrestre, que nous n’avons pu déterminer que d’une manière hypothétique ; on verra dans quelques siècles que la plus grande chaleur de l’été, au lieu d’élever la liqueur du thermomètre à 26, ne l’élèvera plus qu’à 25, à 24 ou au-dessous, et on jugera par cet effet, qui est le résultat de toutes les causes combinées, de la valeur de chacune des causes particulières qui produisent l’effet total de la chaleur à la surface du globe ; car indépendamment de la chaleur qui appartient en propre à la terre, et qu’elle possède dès le temps de l’incandescence, chaleur dont la quantité est très considérablement diminuée, et continuera de diminuer dans la succession des temps, indépendamment de la chaleur qui nous vient du soleil, qu’on peut regarder comme constante, et qui par conséquent fera dans la suite une plus grande compensation qu’aujourd’hui à la perte de cette chaleur propre du globe, il y a encore deux autres causes particulières qui peuvent ajouter une quantité considérable de chaleur à l’effet des deux premières, qui sont les seules dont nous ayons fait jusqu’ici l’évaluation.

L’une de ces causes particulières provient en quelque façon de la première cause générale, et peut y ajouter quelque chose. Il est certain que dans le temps de l’incandescence et dans tous les siècles subséquents, jusqu’à celui du refroidissement de la terre au point de pouvoir la toucher, toutes les matières volatiles ne pouvaient résider à la surface ni même dans l’intérieur du globe ; elles étaient élevées et répandues en forme de vapeurs, et n’ont pu se déposer que successivement à mesure qu’il se refroidissait. Ces matières ont pénétré par les fentes et les crevasses de la terre à d’assez grandes profondeurs en une infinité d’endroits ; c’est là le fonds primitif des volcans, qui, comme l’on sait, se trouvent tous dans les hautes montagnes, où les fentes de la terre sont d’autant plus grandes que ces pointes du globe sont plus avancées, plus isolées : ce dépôt des

  1. Voyez sur cela les Mémoires de feu M. de Réaumur, dans ceux de l’Académie, ann. 1735 et 1741 ; et aussi les mémoires de feu M. de Mairan, dans ceux de l’année 1765, p. 213.