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climats, car, de quelque nature qu’on les voulût supposer, l’expérience nous démontre qu’en un très petit temps elles seraient devenues aussi chaudes que les autres.

Les grands froids du Nord ne viennent donc pas de ces prétendus obstacles qui s’opposeraient à la sortie de la chaleur, ni de la petite différence que doit produire celle des diamètres du sphéroïde terrestre, et il m’a paru, après y avoir réfléchi, qu’on devait attribuer l’égalité des étés et la grande inégalité des hivers à une cause bien plus simple, et qui néanmoins a échappé à tous les physiciens.

Il est certain que, comme la chaleur propre de la terre est beaucoup plus grande que celle qui lui vient du soleil, les étés doivent paraître à très peu près égaux partout, parce que cette même chaleur du soleil ne fait qu’une petite augmentation au fonds réel de la chaleur propre, et que, par conséquent, si cette chaleur envoyée du soleil n’est que 1/50 de la chaleur propre du globe, le plus ou moins de séjour de cet astre sur l’horizon, sa plus grande ou sa moindre obliquité sur le climat, et même son absence totale ne produirait que de différence sur la température du climat, et que dès lors les étés doivent paraître, et sont en effet à très peu près égaux dans tous les climats de la terre. Mais ce qui fait que les hivers sont si fort inégaux, c’est que les émanations de cette chaleur intérieure du globe se trouvent en très grande partie supprimées dès que le froid et la gelée resserrent et consolident la surface de la terre et des eaux. Comme cette chaleur qui sort du globe décroît dans les airs à mesure et en même raison que l’espace augmente, elle a déjà beaucoup perdu à une demi-lieue ou une lieue de hauteur ; la seule condensation de l’air par cette cause suffit pour produira des vents froids qui, se rabattant sur la surface de la terre, la resserrent et la gèlent[1]. Tant que dure ce resserrement de la couche extérieure de la terre, les émanations de la chaleur intérieure sont retenues et le froid paraît et est, en effet, très considérablement augmenté par cette suppression d’une partie de cette chaleur ; mais dès que l’air devient plus doux, et que la couche superficielle du globe perd sa rigidité, la chaleur, retenue pendant tout le temps de la gelée, sort en plus grande abondance que dans les climats où il ne gèle pas ; en sorte que la somme des émanations de la chaleur devient égale et la même partout, et c’est par cette raison que les plantes végètent plus vite, et que les récoltes se font en beaucoup moins de temps dans les pays du nord ; c’est par la même raison qu’on y ressent souvent, au commencement de l’été, des chaleurs insoutenables, etc.

Si l’on voulait douter de la suppression des émanations de la chaleur intérieure par l’effet de la gelée, il ne faut, pour s’en convaincre, que se rappeler des faits connus de tout le monde. Qu’après une gelée il tombe de la neige, on la verra se fondre sur tous les puits, les aqueducs, les citernes, les ciels de carrière, les voûtes des fosses souterraines ou des galeries des mines, lors même que ces profondeurs, ces puits ou ces citernes ne contiennent point d’eau. Les émanations de la terre ayant leur libre issue par ces espèces de cheminées, le terrain qui en recouvre le sommet n’est jamais gelé au même degré que la terre pleine ; il permet aux émanations leur cours ordinaire, et leur chaleur suffit pour fondre la neige sur tous ces endroits creux, tandis qu’elle subsiste et demeure sur tout le reste de la surface où la terre n’est point excavée.

Cette suppression des émanations de la chaleur propre de la terre se fait non seulement par la gelée, mais encore par le simple resserrement de la terre, souvent occasionné par un moindre degré de froid que celui qui est nécessaire pour en geler la surface. Il y a très peu de pays où il gèle dans les plaines au delà du 35e degré de latitude, surtout dans l’hémisphère boréal ; il semble donc que depuis l’équateur jusqu’au 35e degré, les émanations de

  1. On s’aperçoit de ces vents rabattus toutes les fois qu’il doit geler ou tomber de la neige ; le vent, sans même être très violent, se rabat par les cheminées, et chasse dans la chambre les cendres du foyer ; cela ne manque jamais d’arriver, surtout pendant la nuit, lorsque le feu est éteint ou couvert.