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l’espace, et qui doit faire soupçonner qu’il existe des corps cométaires dont les périodes sont plus longues, et qui parviennent à une beaucoup plus grande distance que nous ne pouvons le déterminer par nos connaissances actuelles. Il se pourrait aussi que Sirius fût un soleil beaucoup plus grand et plus puissant que le nôtre ; et, si cela était, il faudrait reculer d’autant les bornes de son domaine en les rapprochant de nous, et rétrécir en même raison la circonférence de celui du soleil.

On ne peut s’empêcher de présumer en effet que dans ce très grand nombre d’étoiles fixes, qui toutes sont autant de soleils, il n’y en ait de plus grands et de plus petits que le nôtre, d’autres plus ou moins lumineux, quelques-uns plus voisins qui nous sont représentés par ces astres que les astronomes appellent Étoiles de la première grandeur, et beaucoup d’autres plus éloignés, qui par cette raison nous paraissent plus petits ; les étoiles qu’ils appellent nébuleuses semblent manquer de lumière et de feu, et n’être, pour ainsi dire, allumées qu’à demi ; celles qui paraissent et disparaissent alternativement sont peut-être d’une forme aplatie par la violence de la force centrifuge dans leur mouvement de rotation : on voit ces soleils lorsqu’ils montrent leur grande face, et ils disparaissent toutes les fois qu’ils se présentent de côté. Il y a dans ce grand ordre de choses, et dans la nature des astres, les mêmes variétés, les mêmes différences en nombre, grandeur, espace, mouvement, forme et durée, les mêmes rapports, les mêmes degrés, les mêmes nuances qui se trouvent dans tous les autres ordres de la création.

Chacun de ces soleils étant doué comme le nôtre, et comme toute matière l’est, d’une puissance attractive, qui s’étend à une distance indéfinie et décroît comme l’espace augmente, l’analogie nous conduit à croire qu’il existe dans la sphère de chacun de ces astres lumineux un grand nombre de corps opaques, planètes ou comètes, qui circulent autour d’eux, mais que nous n’apercevrons jamais que par l’œil de l’esprit, puisque étant obscurs et beaucoup plus petits que les soleils qui leur servent de foyer, ils sont hors de la portée de notre vue, et même de tous les arts qui peuvent l’étendre ou la perfectionner.

On pourrait donc imaginer qu’il passe quelquefois des comètes d’un système dans l’autre, et que s’il s’en trouve sur les confins des deux empires, elles seront saisies par la puissance prépondérante et forcées d’obéir aux lois d’un nouveau maître. Mais par l’immensité de l’espace qui se trouve au delà de l’aphélie de nos comètes, il paraît que le Souverain ordonnateur a séparé chaque système par des déserts mille et mille fois plus vastes que toute l’étendue des espaces fréquentés. Ces déserts, dont les nombres peuvent à peine sonder la profondeur, sont les barrières éternelles, invincibles, que toutes les forces de la nature créée ne peuvent franchir ni surmonter. Il faudrait, pour qu’il y eût communication d’un système à l’autre et pour que les sujets d’un empire pussent passer dans un autre, que le siège du trône ne fût pas immobile ; car l’étoile fixe ou plutôt le soleil, le roi de ce système, changeant de lieu, entraînerait à sa suite tous les corps qui dépendent de lui, et pourrait dès lors s’approcher et même s’emparer du domaine d’un autre. Si sa marche se trouvait dirigée vers un astre plus faible, il commencerait par lui enlever les sujets de ses provinces les plus éloignées, ensuite ceux des provinces intérieures ; il les forcerait tous à augmenter son cortège en circulant autour de lui, et son voisin, dès lors dénué de ses sujets, n’ayant plus ni planètes ni comètes, perdrait en même temps sa lumière et son feu, que leur mouvement seul peut exciter et entretenir ; dès lors cet astre isolé, n’étant plus maintenu dans sa place par l’équilibre des forces, serait contraint de changer de lieu en changeant de nature, et, devenu corps obscur, obéirait comme les autres à la puissance du conquérant, dont le feu augmenterait à proportion du nombre de ses conquêtes.

Car que peut-on dire sur la nature du soleil, sinon que c’est un corps d’un prodigieux volume, une masse énorme de matière pénétrée de feu, qui paraît subsister sans aliment comme dans un métal fondu, ou dans un corps solide en incandescence ? Et d’où peut