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pesantes et hérissées de pointes sur leur surface supérieure ; la surface qui porte sur le terrain est plus plate : comme ces morceaux sont les uns sur les autres, ils ressemblent un peu aux flots de la mer ; quand les morceaux sont plus grands et plus amoncelés, ils prennent la figure des rochers…

» En se refroidissant, la lave affecte différentes formes… La plus commune est en tables plus ou moins grandes ; quelques morceaux ont jusqu’à six, sept et huit pieds de dimension ; elle s’est ainsi cassée et rompue en cessant d’être liquide et en se refroidissant ; c’est cette espèce de laves dont la superficie est hérissée de pointes…

» La seconde espèce ressemble à de gros cordages ; elle se trouve toujours proche l’ouverture, paraît s’être figée promptement et avoir roulé avant de s’être durcie ; elle est moins pesante que celle de la première espèce ; elle est aussi plus fragile, moins dure et plus bitumineuse ; en la cassant, on voit que sa substance est moins serrée que dans la première…

» On trouve au haut de la montagne une troisième espèce de lave, qui est brillante, disposée en filets qui quelquefois se croisent ; elle est lourde et d’un rouge violet… Il y a des morceaux qui sont sonores et qui ont la figure des stalactites… Enfin on trouve à certaines parties de la montagne des laves qui affectent une forme sphérique, et qui paraissent avoir roulé : on conçoit aisément comment la forme de ces laves peut varier suivant une infinité de circonstances, etc.[1] »

Il entre des matières de toute espèce dans la composition des laves ; on a tiré du fer et un peu de cuivre de celles du sommet du Vésuve ; il y en a même quelques-unes d’assez métalliques pour conserver la flexibilité du métal ; j’ai vu de grandes tables de laves de deux pouces d’épaisseur, travaillées et polies comme des tables de marbre, se courber par leur propre poids ; j’en ai vu d’autres qui pliaient sous une forte charge, mais qui reprenaient le plan horizontal par leur élasticité.

Toutes les laves étant réduites en poudre sont, comme le verre, susceptibles d’être converties par l’intermède de l’eau, d’abord en argile, et peuvent devenir ensuite, par le mélange des poussières et des détriments de végétaux, d’excellents terrains. Ces faits sont démontrés par les belles et grandes forêts qui environnent l’Etna, qui toutes sont sur un fond de lave recouvert d’une bonne terre de plusieurs pieds d’épaisseur : les cendres se convertissent encore plus vite en terre que les poudres de verre et de lave ; on voit, dans la cavité des cratères des anciens volcans actuellement éteints, des terrains fertiles ; on en trouve de même sur le cours de tous les anciens torrents de lave. Les dévastations causées par les volcans sont donc limitées par le temps ; et, comme la nature tend toujours plus à produire qu’à détruire, elle répare dans l’espace de quelques siècles les dévastations du feu sur la terre, et lui rend sa fécondité en se servant même de matériaux lancés pour la destruction.



  1. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1766, p. 75 et suiv.