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torrent d’eau fut immédiatement suivi d’un torrent de matière enflammée qui sortit de la même ouverture[1].

Cette même éruption de 1755 s’annonça, dit M. d’Arthenay, par un si grand embrasement qu’il éclairait plus de 24 milles de pays du côté de Catane ; les explosions furent bientôt si fréquentes que dès le 3 mars on apercevait une nouvelle montagne au-dessus du sommet de l’ancienne, de la même manière que nous l’avons vu au Vésuve dans ces derniers temps. Enfin les jurats de Mascali ont mandé le 12 que le 9 du même mois les explosions devinrent terribles ; que la fumée augmenta à tel point que tout le ciel en fut obscurci ; qu’à l’entrée de la nuit il commença à pleuvoir un déluge de petites pierres, pesant jusqu’à trois onces, dont tout le pays et les cantons circonvoisins furent inondés ; qu’à cette pluie affreuse, qui dura plus de cinq quarts d’heure, en succéda une autre de cendres noires qui continua toute la nuit ; que le lendemain, sur les huit heures du matin, le sommet de l’Etna vomit un fleuve d’eau comparable au Nil ; que les anciennes laves les plus impraticables par leurs montuosités, leurs coupures et leurs pointes, furent en un clin d’œil converties par ce torrent en une vaste plaine de sable ; que l’eau, qui heureusement n’avait coulé que pendant un demi-quart d’heure, était très-chaude ; que les pierres et les sables qu’elle avait charriés avec elle ne différaient en rien des pierres et du sable de la mer ; qu’après l’inondation, il était sorti de la même bouche un petit ruisseau de feu qui coula pendant vingt-quatre heures ; que le 11, à un mille environ au-dessous de cette bouche, il se fit une crevasse par où déboucha une lave qui pouvait avoir 100 toises de largeur et 2 000 d’étendue, et qu’elle continuait son cours au travers de la campagne le jour même que M. d’Arthenay écrivait cette relation[2].

Voici ce que dit M. Brydone au sujet de cette éruption : « Une partie des belles forêts qui composent la seconde région de l’Etna fut détruite, en 1755, par un très singulier phénomène. Pendant une éruption du volcan, un immense torrent d’eau bouillante sortit, à ce qu’on imagine, du grand cratère de la montagne en se répandant en un instant sur sa base, en renversant et détruisant tout ce qu’il rencontra dans sa course : les traces de ce torrent étaient encore visibles (en 1770) ; le terrain commençait à recouvrer sa verdure et sa végétation, qui ont paru quelque temps avoir été anéanties ; le sillon que ce torrent d’eau a laissé semble avoir environ un mille et demi de largeur, et davantage en quelques endroits. Les gens éclairés du pays croient communément que le volcan a quelque communication avec la mer, et qu’il éleva cette eau par une force de succion ; mais, dit M. Brydone, l’absurdité de cette opinion est trop évidente pour avoir besoin d’être réfutée ; la force de succion seule, même en supposant un vide parfait, ne pourrait jamais élever l’eau à plus de 33 ou 34 pieds, ce qui est égal au poids d’une colonne d’air dans toute la hauteur de l’atmosphère. » Je dois observer que M. Brydone me paraît se tromper ici, puisqu’il confond la force du poids de l’atmosphère avec la force de succion produite par l’action du feu : celle de l’air, lorsqu’on fait le vide, est en effet limitée à moins de 34 pieds, mais la force de succion ou d’aspiration du feu n’a point de bornes ; elle est dans tous les cas proportionnelle à l’activité et à la quantité de la chaleur qui l’a produite, comme on le voit dans les fourneaux où l’on adapte des tuyaux aspiratoires. Ainsi l’opinion des gens éclairés du pays, loin d’être absurde, me paraît bien fondée ; il est nécessaire que les cavités des volcans communiquent avec la mer ; sans cela ils ne pourraient vomir ces immenses torrents d’eau ni même faire aucune éruption, puisque aucune puissance, à l’exception de l’eau choquée contre le feu, ne peut produire d’aussi violents effets.

  1. Histoire du mont Vésuve, par le P. J. M. de la Torré. Journal étranger, mois de janvier 1756, p. 203 et suiv.
  2. Mémoires des savants étrangers, imprimés comme suite des Mémoires de l’Académie des sciences, t. IV, p. 147 et suiv.