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les projections des volcans, dans laquelle, indépendamment du pic de l’Etna, l’on trouve d’autres montagnes en grand nombre, qui toutes ont leurs cratères propres, et nous démontrent autant de volcans particuliers : il ne faut donc pas regarder l’Etna comme un seul volcan, mais comme un assemblage, une gerbe de volcans, dont la plupart sont éteints ou brûlent d’un feu tranquille, et quelques autres, en petit nombre, agissent encore avec violence. Le haut sommet de l’Etna ne jette maintenant que des fumées, et depuis très long temps il n’a fait aucune projection au loin, puisqu’il est partout environné d’un terrain sans inégalités à plus de 2 lieues de distance, et qu’au-dessous de cette haute région couverte de neige, on voit une large zone de grandes forêts, dont le sol est une bonne terre de plusieurs pieds d’épaisseur : cette zone inférieure est, à la vérité, semée d’inégalités, et présente des éminences, des vallons, des collines et même d’assez grosses montagnes ; mais comme presque toutes ces inégalités sont couvertes d’une grande épaisseur de terre, et qu’il faut une longue succession de temps pour que les matières volcanisées se convertissent en terre végétale, il me paraît qu’on peut regarder le sommet de l’Etna et les autres bouches à feu qui l’environnaient, jusqu’à 4 ou 5 lieues au-dessous, comme des volcans presque éteints, ou du moins assoupis depuis nombre de siècles ; car les éruptions dont on peut citer les dates depuis deux mille cinq cents ans, se sont faites dans la région plus basse, c’est-à-dire à 5, 6 et 7 de distance du sommet. Il me paraît donc qu’il y a eu deux âges différents pour les volcans de la Sicile : le premier, très ancien, où le sommet de l’Etna a commencé d’agir, lorsque la mer universelle a laissé ce sommet à découvert et s’est abaissée à quelques centaines de toises au-dessous ; c’est dès lors que se sont faites les premières éruptions qui ont produit les laves du sommet et formé les collines qui se trouvent au-dessous dans la région des forêts ; mais ensuite, les eaux, ayant continué de baisser, ont totalement abandonné cette montagne, ainsi que toutes les terres de la Sicile et des continents adjacents ; et, après cette entière retraite des eaux, la Méditerranée n’était qu’un lac d’assez médiocre étendue, et ses eaux étaient très éloignées de la Sicile et de toutes les contrées dont elle baigne aujourd’hui les côtes. Pendant tout ce temps, qui a duré plusieurs milliers d’années, la Sicile a été tranquille, l’Etna et les autres anciens volcans qui environnent son sommet ont cessé d’agir, et ce n’est qu’après l’augmentation de la Méditerranée par les eaux de l’Océan et de la mer Noire, c’est-à-dire, après la rupture de Gibraltar et du Bosphore, que les eaux sont venues attaquer de nouveau les montagnes de l’Etna par leur base, et qu’elles ont produit les éruptions modernes et récentes, depuis le siècle de Pindare jusqu’à ce jour, car ce poète est le premier qui ait parlé des éruptions des volcans de la Sicile. Il en est de même du Vésuve : il a fait longtemps partie des volcans éteints de l’Italie, qui sont en très grand nombre, et ce n’est qu’après l’augmentation de la mer Méditerranée que, les eaux s’en étant rapprochées, ses éruptions se sont renouvelées. La mémoire des premières, et même de toutes celles qui avaient précédé le siècle de Pline, était entièrement oblitérée ; et l’on ne doit pas en être surpris, puisqu’il s’est passé peut-être plus de dix mille ans depuis la retraite entière des mers jusqu’à l’augmentation de la Méditerranée, et qu’il y a ce même intervalle de temps entre la première action du Vésuve et son renouvellement. Toutes ces considérations semblent prouver que les feux souterrains ne peuvent agir avec violence que quand ils sont assez voisins des mers pour éprouver un choc contre un grand volume d’eau : quelques autres phénomènes particuliers paraissent encore démontrer cette vérité. On a vu quelquefois les volcans rejeter une grande quantité d’eau et aussi des torrents de bitume. Le P. de la Torré, très habile physicien, rapporte que, le 10 mars 1755, il sortit du pied de la montagne de l’Etna un large torrent d’eau qui inonda les campagnes d’alentour. Ce torrent roulait une quantité de sable si considérable qu’elle remplit une plaine très étendue. Ces eaux étaient fort chaudes. Les pierres et les sables, laissés dans la campagne, ne différaient en rien des pierres et du sable qu’on trouve dans la mer. Ce