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vis point d’ondées tomber du nuage : son élévation pouvait être de cinq ou six cents toises au plus. »

Plus le ciel est chargé de nuages, et plus il est aisé d’observer les trombes et toutes les apparences qui les accompagnent.

M. de la Nux pense, peut-être avec raison, que ces trombes ne sont que des portions visqueuses du nuage, qui sont entraînées par différents tourbillons, c’est-à-dire par des tournoiements de l’air supérieur engouffré dans les masses des nuées dont le nuage total est composé.

Ce qui paraît prouver que ces trombes sont composées de parties visqueuses, c’est leur ténacité, et pour ainsi dire leur cohérence ; car elles font des inflexions et des courbures, même en sens contraire, sans se rompre. Si cette matière des trombes n’était pas visqueuse, pourrait-on concevoir comment elles se courbent et obéissent aux vents sans se rompre ? Si toutes les parties n’étaient pas fortement adhérentes entre elles, le vent les dissiperait, ou, tout au moins, les ferait changer de forme ; mais, comme cette forme est constante dans les trombes grandes et petites, c’est un indice presque certain de la ténacité visqueuse de la matière qui les compose.

Ainsi le fond de la matière des trombes est une substance visqueuse contenue dans les nuages, et chaque trombe est formée par un tourbillon d’air qui s’engouffre entre les nuages, et, boursouflant le nuage inférieur, le perce et descend avec son enveloppe de matière visqueuse. Et comme les trombes qui sont complètes descendent depuis le nuage jusque sur la surface de la mer, l’eau frémira, bouillonnera, tourbillonnera à l’endroit vers lequel le bout de la trombe sera dirigé, par l’effet de l’air qui sort de l’extrémité de la trombe comme du tuyau d’un soufflet : les effets de ce soufflet sur la mer augmenteront à mesure qu’il s’en approchera et que l’orifice de cette espèce de tuyau, s’il vient à s’élargir, laissera sortir plus d’air.

On a cru, mal à propos, que les trombes enlevaient l’eau de la mer et qu’elles en renfermaient une grande quantité ; ce qui a fortifié ce préjugé, ce sont les pluies, ou plutôt les averses, qui tombent souvent aux environs des trombes. Le canal du milieu de toutes les trombes est toujours transparent, de quelque côté qu’on les regarde : si l’eau de la mer paraît monter, ce n’est pas dans ce canal, mais seulement dans ses côtés ; presque toutes les trombes souffrent des inflexions, et ces inflexions se font souvent en sens contraire, en forme d’S, dont la tête est au nuage et la queue à la mer. Les espèces de trombes dont nous venons de parler ne peuvent donc contenir de l’eau, ni pour la verser à la mer, ni pour la monter au nuage : ainsi ces trombes ne sont à craindre que par l’impétuosité de l’air qui sort de leur orifice inférieur ; car il paraîtra certain à tous ceux qui auront occasion d’observer ces trombes qu’elles ne sont composées que d’un air engouffré dans un nuage visqueux, et déterminé par son tournoiement vers la surface de la mer.

M. de la Nux a vu des trombes autour de l’île de Bourbon dans les mois de janvier, mai, juin, octobre, c’est-à-dire en toutes saisons ; il en a vu dans des temps calmes et pendant de grands vents ; mais néanmoins on peut dire que ces phénomènes ne se montrent que rarement, et ne se montrent guère que sur la mer, parce que la viscosité des nuages ne peut provenir que des parties bitumineuses et grasses que la chaleur du soleil et les vents enlèvent à la surface des eaux de la mer, et qui se trouvent rassemblées dans des nuages assez voisins de sa surface ; c’est par cette raison qu’on ne voit pas de pareilles trombes sur la terre, où il n’y a pas, comme sur la surface de la mer, une abondante quantité de parties bitumineuses et huileuses que l’action de la chaleur pourrait en détacher. On en voit cependant quelquefois sur la terre, et même à de grandes distances de la mer, ce qui peut arriver lorsque les nuages visqueux sont poussés rapidement par un vent violent de la mer vers les terres. M. de Grignon a vu, au mois de juin 1768, en Lorraine, près de Vauvillier dans les coteaux qui sont une suite de l’empiétement des