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Elles ont été observées d’un point de l’île de Bourbon, élevé de 150 toises au-dessus du niveau de la mer, et elles étaient pour la plupart à trois, quatre ou cinq lieues de distance de l’endroit de l’observation, qui était la maison même de l’observateur.

Voici la description détaillée de ces trombes.

Quand le bout de la manche, qui pour lors est fort pointu, est descendu environ au quart de la distance du nuage à la mer, on commence à voir sur l’eau, qui d’ordinaire est calme et d’un blanc transparent, une petite noirceur circulaire, effet du frémissement (ou tournoiement) de l’eau : à mesure que la pointe de cette manche descend, l’eau bouillonne, et d’autant plus que cette pointe approche de plus près la surface de la mer, et l’eau de la mer s’élève successivement en tourbillon, à plus ou moins de hauteur, et d’environ 20 pieds dans les plus grosses trombes. Le bout de la manche est toujours au-dessus du tourbillon, dont la grosseur est proportionnée à celle de la trombe qui le fait mouvoir. Il ne paraît pas que le bout de la manche atteigne jusqu’à la surface de la mer, autrement qu’en se joignant au tourbillon qui s’élève.

On voit quelquefois sortir du même nuage de gros et de petits cônes de trombes ; il y en a qui ne paraissent que comme des filets, d’autres un peu plus forts. Du même nuage, on voit sortir assez souvent dix ou douze petites trombes toutes complètes, dont la plupart se dissipent très près de leur sortie, et remontent visiblement à leur nuage : dans ce dernier cas, la manche s’élargit tout à coup jusqu’à l’extrémité inférieure, et ne paraît plus qu’un cylindre suspendu au nuage, déchiré par en bas, et de peu de longueur.

Les trombes à large base, c’est-à-dire les grosses trombes, s’élargissent insensiblement dans toute leur longueur, et par le bas, qui paraît s’éloigner de la mer et se rapprocher de la nuée. Le tourbillon qu’elles excitent sur l’eau diminue peu à peu, et bientôt la manche de cette trombe s’élargit dans sa partie inférieure et prend une forme presque cylindrique : c’est dans cet état que, des deux côtés élargis du canal, on voit comme de l’eau entrer en tournoyant vivement et abondamment dans le nuage ; et c’est enfin par le raccourcissement successif de cette espèce de cylindre que finit l’apparence de la trombe.

Les plus grosses trombes se dissipent le moins vite ; quelques-unes des plus grosses durent plus d’une demi-heure.

On voit assez ordinairement tomber de fortes ondées, qui sortent du même endroit du nuage d’où sont sorties et auxquelles tiennent encore quelquefois les trombes : ces ondées cachent souvent aux yeux celles qui ne sont pas encore dissipées. J’en ai vu, dit M. de la Nux, deux le 26 octobre 1755, très distinctement, au milieu d’une ondée qui devint si forte, qu’elle m’en déroba la vue.

Le vent, ou l’agitation de l’air inférieur sous la nuée, ne rompt ni les grosses ni les petites trombes ; seulement cette impulsion les détourne de la perpendiculaire : les plus petites forment des courbes très remarquables, et quelquefois des sinuosités, en sorte que leur extrémité, qui aboutissait à l’eau de la mer, était fort éloignée de l’aplomb de l’autre extrémité, qui était dans le nuage.

On ne voit plus de nouvelles trombes se former lorsqu’il est tombée de la pluie des nuages d’où elles partent.

« Le 14 juin de l’année 1756, sur les quatre heures après-midi, j’étais, dit M. de la Nux, au bord de la mer, élevé de vingt à vingt-cinq pieds au-dessus de son niveau. Je vis sortir d’un même nuage douze à quatorze trombes complètes, dont trois seulement considérables, et surtout la dernière. Le canal du milieu de la manche était si transparent, qu’à travers je voyais les nuages que derrière elle, à mon égard, le soleil éclairait. Le nuage, magasin de tant de trombes, s’étendait à peu près du sud-est au nord-ouest, et cette grosse trombe, dont il s’agit uniquement ici, me restait vers le sud-sud-ouest ; le soleil était déjà fort bas, puisque nous étions dans les jours les plus courts. Je ne