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opposés au détroit se font sentir. Il doit donc être prouvé que la baie d’Hudson a d’autres communications avec l’océan que celle qu’on a déjà trouvée.

» Ceux qui ont cherché à expliquer des faits si frappants, en supposant une communication de la baie d’Hudson avec celle de Baffin, avec le détroit de Davis, se sont manifestement égarés. Ils ne balanceraient pas à abandonner leur conjecture, qui n’a d’ailleurs aucun fondement, s’ils voulaient faire attention que la marée est beaucoup plus basse dans le détroit de Davis, dans la baie de Baffin, que dans celle d’Hudson.

» Si les marées qui se font sentir dans le golfe dont il s’agit ne peuvent venir ni de l’Océan Atlantique, ni d’aucune autre mer septentrionale où elles sont toujours beaucoup plus faibles, on ne pourra s’empêcher de penser qu’elles doivent avoir leur source dans la mer du Sud. Ce système doit tirer un grand appui d’une vérité incontestable : c’est que les plus hautes marées qui se fassent remarquer sur ces côtes sont toujours causées par les vents du nord-ouest qui soufflent directement contre ce détroit.

» Après avoir constaté, autant que la nature le permet, l’existence d’un passage si longtemps et si inutilement désiré, il reste à déterminer dans quelle partie de la baie il doit se trouver. Tout invite à croire que le Welcombe, à la côte occidentale, doit fixer les efforts dirigés jusqu’ici de toutes parts sans choix et sans méthode. On y voit le fond de la mer à la profondeur de onze brasses : c’est un indice que l’eau y vient de quelque océan, parce qu’une semblable transparence est incompatible avec des décharges de rivières, de neiges fondues et de pluies. Des courants, dont on ne saurait expliquer la violence qu’en les faisant partir de quelque mer occidentale, tiennent ce lieu débarrassé de glaces, tandis que le reste du golfe en est entièrement couvert. Enfin les baleines, qui cherchent constamment dans l’arrière-saison à se retirer dans les climats plus chauds, s’y trouvent en fort grand nombre à la fin de l’été, ce qui paraît indiquer un chemin pour se rendre, non à l’ouest septentrional, mais à la mer du Sud.

» Il est raisonnable de conjecturer que le passage est court. Toutes les rivières, qui se perdent dans la côte occidentale de la baie d’Hudson, sont faibles et petites, ce qui paraît prouver qu’elles ne viennent pas de loin, et que par conséquent les terres qui séparent les deux mers ont peu d’étendue : cet argument est fortifié par la force et la régularité des marées. Partout où le flux et le reflux observent des temps à peu près égaux, avec la seule différence qui est occasionnée par le retardement de la lune dans son retour au méridien, on est assuré de la proximité de l’océan d’où viennent ces marées. Si le passage est court, et qu’il ne soit pas avancé dans le nord, comme tout l’indique, on doit présumer qu’il n’est pas difficile ; la rapidité des courants qu’on observe dans ces parages, et qui ne permettent pas aux glaces de s’y arrêter, ne peut que donner du poids à cette conjecture[1]. »

Je crois, avec cet excellent écrivain, que, s’il existe en effet un passage praticable, ce ne peut être que dans le fond de la baie d’Hudson, et qu’on le tenterait vainement par la baie de Baffin dont le climat est trop froid et dont les côtes sont glacées, surtout vers le nord ; mais ce qui doit faire douter encore beaucoup de l’existence de ce passage par le fond de la baie d’Hudson, ce sont les terres que Béring et Tschirikow ont découvertes en 1741 sous la même latitude que la baie d’Hudson, car ces terres semblent faire partie du grand continent de l’Amérique, qui paraît continu sous cette même latitude jusqu’au cercle polaire ; ainsi ce ne serait qu’au-dessous du 55e degré que ce passage pourrait aboutir à la mer du Sud.

  1. Histoire philosophique et politique, t. VI, p. 121 et suiv.