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phénomène a disparu, l’aurore boréale en prend la place. Le ciel y est rarement serein ; et dans le printemps et dans l’automne, l’air est habituellement rempli de brouillards épais, et, durant l’hiver, d’une infinité de petites flèches glaciales sensibles à l’œil. Quoique les chaleurs de l’été soient assez vives durant deux mois ou six semaines, le tonnerre et les éclairs sont rares[1].

La mer, le long des côtes de Norvège, qui sont bordées par des rochers, a ordinairement depuis cent jusqu’à quatre cents brasses de profondeur, et les eaux sont moins salées que dans les climats plus chauds. La quantité de poissons huileux dont cette mer est remplie la rend grasse, au point d’en être presque inflammable. Le flux n’y est point considérable ; et la plus haute marée n’y est que de huit pieds[2].

On a fait, dans ces dernières années, quelques observations sur la température des terres et des eaux dans les climats les plus voisins du pôle boréal.

« Le froid commence dans le Groenland à la nouvelle année, et devient si perçant aux mois de février et de mars que les pierres se fendent en deux, et que la mer fume comme un four, surtout dans les baies. Cependant le froid n’est pas aussi sensible au milieu de ce brouillard épais que sous un ciel sans nuages : car dès qu’on passe des terres à cette atmosphère de fumée qui couvre la surface et le bord des eaux, on sent un air plus doux et le froid moins vif, quoique les habits et les cheveux y soient bientôt hérissés de bruine et de glaçons. Mais aussi cette fumée cause plutôt des engelures qu’un froid sec ; et dès qu’elle passe de la mer dans une atmosphère plus froide, elle se change en une espèce de verglas, que le vent disperse dans l’horizon, et qui cause un froid si piquant qu’on ne peut sortir au grand air, sans risquer d’avoir les pieds et les mains entièrement gelés. C’est dans cette saison que l’on voit glacer l’eau sur le feu avant de bouillir ; c’est alors que l’hiver pave un chemin de glace sur la mer, entre les îles voisines, et dans les baies et les détroits.

» La plus belle saison du Groenland est l’automne ; mais sa durée est courte, et souvent interrompue par des nuits de gelée très froides. C’est à peu près dans ces temps-là que, sous une atmosphère noircie de vapeurs, on voit les brouillards, qui se gèlent quelquefois jusqu’au verglas, former sur la mer comme un tissu glacé de toile d’araignées, et dans les campagnes charger l’air d’atomes luisants, ou le hérisser de glaçons pointus, semblables à de fines aiguilles.

» On a remarqué plus d’une fois que le temps et la saison prennent dans le Groenland une température opposée à celle qui règne dans toute l’Europe ; en sorte que, si l’hiver est très rigoureux dans les climats tempérés, il est doux au Groenland, et très vif en cette partie du nord, quand il est modéré dans nos contrées. À la fin de 1739, l’hiver fut si doux à la baie de Disko, que les oies passèrent, au mois de janvier suivant, de la zone tempérée dans la glaciale, pour y chercher un air plus chaud ; et qu’en 1740, on ne vit point de glace à Disko jusqu’au mois de mars, tandis qu’en Europe elle régna constamment depuis octobre jusqu’au mois de mai.

» De même, l’hiver de 1763, qui fut extrêmement froid dans toute l’Europe, se fit si peu sentir au Groenland, qu’on y a vu quelquefois des étés moins doux[3]. »

Les voyageurs nous assurent que, dans ces mers voisines du Groenland, il y a des montagnes de glaces flottantes très hautes, et d’autres glaces flottantes comme des radeaux, qui ont plus de 200 toises de longueur sur 60 ou 80 de largeur ; mais ces glaces, qui forment des plaines immenses sur la mer, n’ont communément que 9 à 12 pieds d’épaisseur. Il paraît qu’elles se forment immédiatement sur la surface de la mer dans la

  1. Histoire philosophique et politique, t. VI, p. 308 et 309.
  2. Histoire naturelle de Norvège, par Pontoppidan. Journal étranger, août 1755.
  3. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 20 et suiv.