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dixième et quelquefois d’un neuvième plus vite que pendant le jour ; et s’il y a moins de hauteur d’eau, la différence entre la vitesse pendant la nuit et pendant le jour sera moindre, mais toujours assez sensible pour être reconnue. Je me suis assuré de ce fait en mettant des marques blanches sur les roues, et en comptant avec une montre à secondes le nombre de leurs révolutions dans un même temps, soit la nuit, soit le jour, et j’ai constamment trouvé, par un très grand nombre d’observations, que le temps de la plus grande vitesse des roues était l’heure la plus froide de la nuit, et qu’au contraire celui de la moindre vitesse était le moment de la plus grande chaleur du jour : ensuite, j’ai de même reconnu que la vitesse de toutes les roues est généralement plus grande en hiver qu’en été. Ces faits, qui n’ont été remarqués par aucun physicien, sont importants dans la pratique. La théorie en est bien simple : cette augmentation de vitesse dépend uniquement de la densité de l’eau, laquelle augmente par le froid et diminue par le chaud ; et comme il ne peut passer que le même volume par la vanne, il se trouve que ce volume d’eau, plus dense pendant la nuit et en hiver qu’il ne l’est pendant le jour ou en été, agit avec plus de masse sur la roue, et lui communique par conséquent une plus grande quantité de mouvement. Ainsi, toutes choses étant égales d’ailleurs, on aura moins de perte à faire chômer ces usines à l’eau pendant la chaleur du jour, et à les faire travailler pendant la nuit. J’ai vu, dans mes forges, que cela ne laissait pas d’influer d’un douzième sur le produit de la fabrication du fer.

Une seconde observation, c’est que de deux roues, l’une plus voisine que l’autre du bief, mais du reste parfaitement égales, et toutes deux mues par une égale quantité d’eau qui passe par des vannes égales, celle des roues qui est la plus voisine du bief tourne toujours plus vite que l’autre, qui en est plus éloignée, et à laquelle l’eau ne peut arriver qu’après avoir parcouru un certain espace dans le courant particulier qui aboutit à cette roue. On sent bien que le frottement de l’eau contre les parois de ce canal doit en diminuer la vitesse, mais cela seul ne suffit pas pour rendre raison de la différence considérable qui se trouve entre le mouvement de ces deux roues : elle provient, en premier lieu, de ce que l’eau contenue dans ce canal cesse d’être pressée latéralement, comme elle l’est en effet lorsqu’elle entre par la vanne du bief et qu’elle frappe immédiatement les aubes de la roue ; secondement, cette inégalité de vitesse, qui se mesure sur la distance du bief à ces roues, vient encore de ce que l’eau qui sort d’une vanne n’est pas une colonne qui ait les dimensions de la vanne ; car l’eau forme dans son passage un cône irrégulier, d’autant plus déprimé sur les côtés, que la masse d’eau dans le bief a plus de largeur. Si les aubes de la roue sont très près de la vanne, l’eau s’y applique presque à la hauteur de l’ouverture de la vanne ; mais si la roue est plus éloignée du bief, l’eau s’abaisse dans le coursier et ne frappe plus les aubes de la roue à la même hauteur ni avec autant de vitesse que dans le premier cas ; et ces deux causes réunies produisent cette diminution de vitesse dans les roues qui sont éloignées du bief.


II. — Sur la salure de la mer.

Au sujet de la salure de la mer, il y a deux opinions, qui toutes deux sont fondées et en partie vraies : Halley attribue la salure de la mer uniquement aux sels de la terre que les fleuves y transportent, et pense même qu’on peut reconnaître l’ancienneté du monde par le degré de cette salure des eaux de la mer. Leibniz croit, au contraire, que le globe de la terre ayant été liquéfié par le feu, les sels et les autres parties empyreumatiques ont produit avec les vapeurs aqueuses une eau lixivielle et salée, et que par conséquent la mer avait son degré de salure dès le commencement. Les opinions de ces deux grands physiciens, quoique opposées, doivent être réunies, et peuvent même s’accorder avec la mienne. Il est en effet très probable que l’action du feu, combinée avec celle de l’eau, a