Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intérieure du globe, et les noyaux de ses grandes éminences extérieures, ont été produits par l’action du feu primitif, et que les eaux n’ont formé que les couches inférieures et accessoires qui enveloppent ces noyaux, et qui sont tous posés par couches parallèles, horizontales ou également inclinées, et dans lesquelles on trouve des débris de coquilles et d’autres productions de la mer.

Ce n’est pas que je prétende exclure l’intermède de l’eau pour la formation des grès et de plusieurs autres matières vitrescibles ; je suis, au contraire, porté à croire que le sable vitrescible peut acquérir de la consistance et se réunir en masses plus ou moins dures par le moyen de l’eau, peut-être encore plus aisément que par l’action du feu ; et c’est seulement pour prévenir les objections qu’on ne manquerait pas de faire, si l’on imaginait que j’attribue uniquement à l’intermède de l’eau la solidité et la consistance du grès et des autres matières composées de sable vitrescible. Je dois même observer que les grès qui se trouvent à la superficie ou à peu de profondeur dans la terre ont tous été formés par l’intermède de l’eau ; car l’on remarque des ondulations et des tournoiements à la surface supérieure des masses de ces grès, et l’on y voit quelquefois des impressions de plantes et de coquilles. Mais on peut distinguer les grès formés par le sédiment des eaux de ceux qui ont été produits par le feu ; ceux-ci sont d’un plus gros grain et s’égrainent plus facilement que les grès dont l’agrégation des parties est due à l’intermède de l’eau. Ils sont plus serrés, plus compactes, les grains qui les composent ont des angles plus vifs, et, en général, ils sont plus solides et plus durs que les grès coagulés par le feu.

Les matières ferrugineuses prennent un très grand degré de dureté par le feu, puisque rien n’est si dur que la fonte de fer, mais elles peuvent aussi acquérir une dureté considérable par l’intermède de l’eau : je m’en suis assuré en mettant une bonne quantité de limaille de fer dans des vases exposés à la pluie ; cette limaille a formé des masses si dures qu’on ne pouvait les casser qu’au marteau.

La roche vitreuse qui compose la masse de l’intérieur du globe est plus dure que le verre ordinaire, mais elle ne l’est pas plus que certaines laves de volcans et beaucoup moins que la fonte de fer, qui n’est cependant que du verre mêlé de parties ferrugineuses. Cette grande dureté de la roche du globe indique assez que ce sont les parties les plus fixes de toute la matière qui se sont réunies, et que, dès le temps de leur consolidation, elles ont pris la consistance et la dureté qu’elles ont encore aujourd’hui. L’on ne peut donc pas argumenter contre mon hypothèse de la vitrification générale, en disant que les matières réduites en verre par le feu de nos fourneaux sont moins dures que la roche du globe, puisque la fonte de fer, quelques laves ou basaltes, et même certaines porcelaines, sont plus dures que cette roche, et néanmoins ne doivent, comme elle, leur dureté qu’à l’action du feu. D’ailleurs, les éléments du fer et des autres minéraux qui donnent de la dureté aux matières liquéfiées par le feu ou atténuées par l’eau existaient, ainsi que les terres fixes, dès le temps de la consolidation du globe ; et j’ai déjà dit qu’on ne devait pas regarder la roche de son intérieur comme du verre pur, semblable à celui que nous faisons avec du sable et du salin, mais comme un produit vitreux mêlé des matières les plus fixes et les plus capables de soutenir la grande et longue action du feu primitif, dont nous ne pouvons comparer les grands effets que de loin avec le petit effet de nos feux de fourneaux ; et néanmoins cette comparaison, quoique désavantageuse, nous laisse apercevoir clairement ce qu’il peut y avoir de commun dans les effets du feu primitif et dans les produits de nos feux, et nous démontre en même temps que le degré de dureté dépend moins de celui du feu que de la combinaison des matières soumises à son action.