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On peut aussi observer que les montagnes de l’Indostan et celles de Siam courent du sud au nord, et vont également se réunir aux rochers du Thibet et de la Tartarie. Ces montagnes offrent de chaque côté des saisons différentes : à l’ouest on a six mois de pluie, tandis qu’on jouit à l’est du plus beau soleil[1].

Toutes les montagnes de Suisse, c’est-à-dire celles de la Vallésie et des Grisons, celles de la Savoie, du Piémont et du Tyrol, forment une chaîne qui s’étend du nord au sud jusqu’à la Méditerranée. Le mont Pilate, situé dans le canton de Lucerne, à peu près dans le centre de la Suisse, forme une chaîne d’environ quatorze lieues qui s’étend du nord au sud jusque dans le canton de Berne.

On peut donc dire qu’en général les plus grandes éminences du globe sont disposées du nord au sud, et que celles qui courent dans d’autres directions ne doivent être regardées que comme des branches collatérales de ces premières montagnes ; et c’est en partie par cette disposition des montagnes primitives, que toutes les pointes des continents se présentent dans la direction du nord au sud, comme on le voit à la pointe de l’Afrique, à celle de l’Amérique, à celle de Californie, à celle du Groenland, au cap Comorin, à Sumatra, à la Nouvelle-Hollande, etc., ce qui paraît indiquer, comme nous l’avons déjà dit, que toutes les eaux sont venues en plus grande quantité du pôle austral que du pôle boréal.

Si l’on consulte une nouvelle mappemonde dans laquelle on a représenté autour du pôle arctique toutes les terres des quatre parties du monde, à l’exception d’une pointe de l’Amérique, et autour du pôle antarctique, toutes les mers et le peu de terres qui composent l’hémisphère pris dans ce sens, on reconnaîtra évidemment qu’il y a eu beaucoup plus de bouleversements dans ce second hémisphère que dans le premier, et que la quantité des eaux y a toujours été et y est encore bien plus considérable que dans notre hémisphère. Tout concourt donc à prouver que les plus grandes inégalités du globe se trouvent dans les parties méridionales, et que la direction la plus générale des montagnes primitives est du nord au sud plutôt que d’orient en occident dans toute l’étendue de la surface du globe.


III. — Sur la formation des montagnes.

Toutes les vallées et tous les vallons de la surface de la terre, ainsi que toutes les montagnes et collines, ont eu deux causes primitives : la première est le feu, et la seconde l’eau. Lorsque la terre a pris sa consistance, il s’est élevé à sa surface un grand nombre d’aspérités, il s’est fait des boursouflures comme dans un bloc de verre ou de métal fondu : cette première cause a donc produit les premières et les plus hautes montagnes qui tiennent par leur base à la roche intérieure du globe, et sous lesquelles, comme partout ailleurs, il a dû se trouver des cavernes qui se sont affaissées en différents temps ; mais sans considérer ce second événement de l’affaissement des cavernes, il est certain que, dans le premier temps où la surface de la terre s’est consolidée, elle était sillonnée partout de profondeurs et d’éminences uniquement produites par l’action du premier refroidissement. Ensuite lorsque les eaux se sont dégagées de l’atmosphère, ce qui est arrivé dès que la terre a cessé d’être brûlante au point de les rejeter en vapeurs, ces mêmes eaux ont couvert toute la surface de la terre actuellement habitée jusqu’à la hauteur de deux mille toises ; et pendant leur long séjour sur nos continents, le mouvement du flux et du reflux et celui des courants ont changé la disposition et la forme des montagnes et des vallées primitives. Ces mouvements auront formé des collines dans les vallées ; ils auront recouvert et environné de nouvelles couches de terre le pied et les croupes des montagnes, et les courants auront creusé des sillons, des vallons dont

  1. Histoire philosophique et politique, t. II, p. 46.