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mensions de cet affaissement à cause de la neige qui le recouvrait presque partout, quoique ce fût au mois d’août. Les bancs de pierres qui environnent ces pierres lenticulées, ainsi que ceux qui sont immédiatement au-dessous, sont calcaires jusqu’à plus de cent toises toujours en descendant : cette montagne de Nas, à en juger par le coup d’œil, semble aussi élevée que le Canigou ; elle ne présente nulle part aucune trace de volcan.

Je pourrais citer cent et cent autres exemples de coquilles marines trouvées dans une infinité d’endroits, tant en France que dans les différentes provinces de l’Europe ; mais ce serait grossir inutilement cet ouvrage de faits particuliers déjà trop multipliés, et dont on ne peut s’empêcher de tirer la conséquence très évidente, que nos terres actuellement habitées ont autrefois été, et pendant fort longtemps, couvertes par les mers.

Je dois seulement observer, et on vient de le voir, qu’on trouve ces coquilles marines dans des états différents : les unes pétrifiées, c’est-à-dire moulées sur une matière pierreuse, et les autres dans leur état naturel, c’est-à-dire telles qu’elles existent dans la mer. La quantité de coquilles pétrifiées, qui ne sont proprement que des pierres figurées par les coquilles, est infiniment plus grande que celle des coquilles fossiles, et ordinairement on ne trouve pas les unes et les autres ensemble ni même dans les lieux contigus. Ce n’est guère que dans le voisinage et à quelques lieues de distance de la mer que l’on trouve des lits de coquilles dans leur état de nature, et ces coquilles sont communément les mêmes que dans les mers voisines ; c’est au contraire dans les terres plus éloignées de la mer et sur les plus hautes collines que l’on trouve presque partout des coquilles pétrifiées, dont un grand nombre d’espèces n’appartiennent point à nos mers, et dont plusieurs même n’ont aucun analogue vivant : ce sont ces espèces anciennes dont nous avons parlé, qui n’ont existé que dans les temps de la grande chaleur du globe. De plus de cent espèces de cornes d’ammon que l’on pourrait compter, dit un de nos savants académiciens, et qui se trouvent en France aux environs de Paris, de Rouen, de Dive, de Langres et de Lyon, dans les Cévennes, en Provence et en Poitou, en Angleterre, en Allemagne et dans d’autres contrées de l’Europe, il n’y en a qu’une seule espèce nommée nautilus papyraceus qui se trouve dans nos mers, et cinq à six espèces qui naissent dans les mers étrangères[1].


III. — Sur les grandes volutes appelées cordes d’ammon, et sur quelques grands ossements d’animaux terrestres.

J’ai dit « qu’il est à croire que les cornes d’ammon et quelques autres espèces qu’on trouve pétrifiées, et dont on n’a pas encore trouvé les analogues vivants, demeurent toujours dans le fond des hautes mers, et qu’elles ont été remplies du sédiment pierreux dans le lieu même où elles étaient ; qu’il peut se faire aussi qu’il y ait eu de certains animaux dont l’espèce a péri, et que ces coquillages pourraient être du nombre ; que les os fossiles extraordinaires qu’on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture ; car, jusqu’ici on ne connaît pas d’animal à qui on puisse attribuer ces os qui, pour la plupart, sont d’une grandeur et d’une grosseur démesurée. »

J’ai deux observations essentielles à faire sur ce passage : la première, c’est que ces cornes d’ammon, qui paraissent faire un genre plutôt qu’une espèce dans la classe des animaux à coquilles, tant elles sont différentes les unes des autres par la forme et la grandeur, sont réellement les dépouilles d’autant d’espèces qui ont péri et ne subsistent plus ; j’en ai vu de si petites qu’elles n’avaient pas une ligne, et d’autres si grandes

  1. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1722, p. 242.