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tinent, puisque les Groenlandais croient que le monde a été noyé par un déluge et qu’ils citent, pour garants de cet événement, les coquilles et les os de baleine qui couvrent les montagnes les plus élevées de leur pays[1].

Si de là on passe en Sibérie, on trouvera également des preuves de l’ancien séjour des eaux de la mer sur tous nos continents. Près de la montagne de Jéniseïk on voit d’autres montagnes moins élevées sur le sommet desquelles on trouve des amas de coquilles bien conservées dans leur forme et leur couleur naturelles : ces coquilles sont toutes vides, et quelques-unes tombent en poudre dès qu’on les touche ; « la mer de cette contrée n’en fournit plus de semblables » ; les plus grandes ont un pouce de large, d’autres sont très-petites[2].

Mais je puis encore citer des faits qu’on sera bien plus à portée de vérifier : chacun dans sa province n’a qu’à ouvrir les yeux ; il verra des coquilles dans tous les terrains d’où l’on tire de la pierre pour faire de la chaux ; il en trouvera aussi dans la plupart des glaises, quoiqu’en général ces productions marines y soient en bien plus petite quantité que dans les matières calcaires.

Dans le territoire de Dunkerque, au haut de la montagne des Récollets, près celle de Cassel, à 400 pieds du niveau de la basse mer, on trouve un lit de coquillages horizontalement placés et si fortement entassés que la plus grande partie en sont brisés, et par-dessus ce lit, une couche de 7 ou 8 pieds de terre et plus ; c’est à six lieues de distance de la mer, et ces coquilles sont de la même espèce que celles qu’on trouve actuellement dans la mer[3].

Au mont Gannelon près d’Anet, à quelque distance de Compiègne, il y a plusieurs carrières de très belles pierres calcaires, entre les différents lits desquelles ils se trouve du gravier, mêlé d’une infinité de coquilles ou de portions de coquilles marines très légères et fort friables : on y trouve aussi des lits d’huîtres ordinaires de la plus belle conservation, dont l’étendue est de plus de cinq quarts de lieue en longueur. Dans l’une de ces carrières, il se trouve trois lits de coquilles dans différents états : dans deux de ces lits, elles sont réduites en parcelles, et on ne peut en reconnaître les espèces, tandis que, dans le troisième lit, ce sont des huîtres qui n’ont souffert d’autre altération qu’une sécheresse excessive : la nature de la coquille, l’émail et la figure, sont les mêmes que dans l’analogue vivant ; mais ces coquilles ont acquis de la légèreté et se détachent par feuillets ; ces carrières sont au pied de la montagne et un peu en pente. En descendant dans la plaine, on trouve beaucoup d’huîtres, qui ne sont ni changées, ni dénaturées, ni desséchées comme les premières ; elles ont le même poids et le même émail que celles que l’on tire tous les jours de la mer[4].

Aux environs de Paris, les coquilles marines ne sont pas moins communes que dans les endroits qu’on vient de nommer. Les carrières de Bougival, où l’on tire de la marne, fournissent une espèce d’huître d’une moyenne grandeur : on pourrait les appeler huîtres tronquées, ailées et lisses, parce qu’elles ont le talon aplati et qu’elles sont comme tronquées en devant. Près Belleville, où l’on tire du grès, on trouve une masse de sable dans la terre qui contient des corps branchus, qui pourraient bien être du corail ou des madrépores devenus grès : ces corps marins ne sont pas dans le sable même, mais dans les pierres qui contiennent aussi des coquilles de différents genres, telles que des vis, des univalves et des bibalves[5].

  1. Voyage de M. Krantz. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 105.
  2. Relation de MM. Gmelin et Muller. Histoire générale des Voyages, t. XVIII, p. 342.
  3. Mémoire pour la subdélégation de Dunkerque, relativement à l’histoire naturelle de ce canton.
  4. Extrait d’une lettre de M. Leschevin à M. de Buffon. Compiègne, le 8 octobre 1772.
  5. Mémoire de M. Guettard. Académie des sciences, année 1764, p. 492.