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quelquefois de fort loin dans les différentes montagnes : la plupart de ces montagnes ont deux ou trois cents toises de hauteur, et elles sont presque toujours inaccessibles ; elles sont souvent escarpées comme des murailles, et c’est ce qui permet devoir leurs lits horizontaux dont ces escarpements présentent l’extrémité. Lorsque le hasard a voulu que quelqu’une fût ronde et qu’elle se trouve absolument détachée des autres, chacun de ces lits est devenu comme un cylindre très plat et comme un cône tronqué qui n’a que très peu de hauteur, et ces différents lits, placés les uns au-dessous des autres et distingués par leur couleur et par les divers talus de leur contour, ont souvent donné au tout la forme d’un ouvrage artificiel et fait avec la plus grande régularité. On voit dans ces pays-là les montagnes y prendre continuellement l’aspect d’anciens et somptueux édifices, de chapelles, de châteaux, de dômes. Ce sont quelquefois des fortifications formées de longues courtines, munies de boulevards. Il est difficile, en distinguant tous ces objets et la manière dont leurs couches se répondent, de douter que le terrain ne se soit abaissé tout autour ; il paraît que ces montagnes, dont la base était plus solidement appuyée, sont restées comme des espèces de témoins et de monuments qui indiquent la hauteur qu’avait anciennement le sol de ces contrées[1].

La montagne des Oiseaux, appelée en Arabe Gebelteir, est si égale du haut en bas, l’espace d’une demi-lieue, qu’elle semble plutôt un mur régulier bâti par la main des hommes que non pas un rocher fait ainsi par la nature. Le Nil la touche par un très long espace, et elle est éloignée de quatre journées et demie du Caire dans l’Égypte supérieure[2].

Je puis ajouter à ces observations une remarque faite par la plupart des voyageurs, c’est que dans les Arabies le terrain est d’une nature très différente ; la partie la plus voisine du mont Liban n’offre que des rochers tranchés et culbutés, et c’est ce qu’on appelle l’Arabie-Pétrée ; c’est de cette contrée, dont les sables ont été enlevés par le mouvement des eaux, que s’est formé le terrain stérile de l’Arabie-Déserte ; tandis que les limons plus légers et toutes les bonnes terres ont été portées plus loin dans la partie que l’on appelle l’Arabie-Heureuse. Au reste, les revers dans l’Arabie-Heureuse sont, comme partout ailleurs, plus escarpés vers la mer d’Afrique, c’est-à-dire vers l’occident, que vers la mer Rouge, qui est à l’orient.


II. — Sur la roche intérieure du globe.

J’ai dit que « dans les collines et dans les autres élévations, on reconnaît facilement la base sur laquelle portent les rochers ; mais qu’il n’en est pas de même des grandes montagnes, que non seulement leur sommet est de roc vif, de granit, etc., mais que ces rochers portent sur d’autres rochers, à des profondeurs si considérables et dans une si grande étendue de terrain, qu’on ne peut guère s’assurer s’il y a de la terre dessous, et de quelle nature est cette terre ; on voit des rochers coupés à pic qui ont plusieurs centaines de pieds de hauteur, ces rochers portent sur d’autres, qui peut-être n’en ont pas moins ; cependant ne peut-on pas conclure du petit au grand ? et puisque les rochers des petites montagnes dont on voit la base portent sur des terres moins pesantes et moins solides que la pierre, ne peut-on pas croire que la base des hautes montagnes est aussi de terre ? »

J’avoue que cette conjecture, tirée de l’analogie, n’était pas assez fondée : depuis trente-quatre ans que cela est écrit, j’ai acquis des connaissances et recueilli des faits qui m’ont démontré que les grandes montagnes, composées de matières vitrescibles et produites par l’action du feu primitif, tiennent immédiatement à la roche intérieure du globe, laquelle

  1. Bouguer, Figure de la Terre, p. 89 et suiv.
  2. Voyage du P. Vansleb.