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matières y sont pétrifiées aussi bien que les coquilles. J’espère faire voir que les marbres et les autres matières calcinables, qui presque toutes sont composées de madrépores, d’astroïtes et de coquilles, ont acquis au fond de la mer le degré de dureté et de perfection que nous leur connaissons ; au contraire, les tufs, les pierres molles et toutes les matières pierreuses, comme les incrustations, les stalactites, etc., qui sont aussi calcinables et qui se sont formées dans la terre depuis que notre continent est découvert, ne peuvent acquérir ce degré de dureté et de pétrification des marbres ou des pierres dures.

On peut voir dans l’Histoire de l’Académie, année 1707, les observations de M. Saulmon au sujet des galets qu’on trouve dans plusieurs endroits : ces galets sont des cailloux ronds et plats et toujours fort polis, que la mer pousse sur les côtes. À Bayeux et à Brutel, qui est à une lieue de la mer, on trouve du galet en creusant des caves ou des puits ; les montagnes de Bonneuil, de Broye et du Quesnoy, qui sont à environ dix-huit lieues de la mer, sont toutes couvertes de galets ; il y en a aussi dans la vallée de Clermont en Beauvoisis. M. Saulmon rapporte encore qu’un trou de seize pieds de profondeur, percé directement et horizontalement dans la falaise du Tréport, qui est toute de moellon, a disparu en 30 ans, c’est-à-dire que la mer a miné dans la falaise cette épaisseur de seize pieds ; en supposant qu’elle avance toujours également, elle minerait mille toises ou une petite demi-lieue de moellon en douze mille ans.

Les mouvements de la mer sont donc les principales causes des changements qui sont arrivés et qui arrivent sur la surface du globe ; mais cette cause n’est pas unique ; il y en a beaucoup d’autres moins considérables qui contribuent à ces changements : les eaux courantes, les fleuves, les ruisseaux, la fonte des neiges, les torrents, les gelées, etc., ont changé considérablement la surface de la terre ; les pluies ont diminué la hauteur des montagnes, les rivières et les ruisseaux ont élevé les plaines, les fleuves ont rempli la mer à leur embouchure, la fonte des neiges et les torrents ont creusé des ravines dans les gorges et dans les vallons, les gelées ont fait fendre les rochers et les ont détachés des montagnes. Nous pourrions citer une infinité d’exemples des différents changements que toutes ces causes ont occasionnés. Varénius dit que les fleuves transportent dans la mer une grande quantité de terre qu’ils déposent à plus ou moins de distance des côtes, en raison de leur rapidité ; ces terres tombent au fond de la mer et y forment d’abord de petits bancs, qui, s’augmentant tous les jours, font des écueils, et enfin forment des îles qui deviennent fertiles et habitées : c’est ainsi que se sont formées les îles du Nil, celles du fleuve Saint-Laurent, l’île de Landa, située à la côte d’Afrique près de l’embouchure du fleuve Coanza, les îles de Norvège, etc. (Voyez Varenii Geogr. gen., p. 214.) On peut y ajouter l’île de Trong-Ming à la Chine, qui s’est formée peu à peu des terres que le fleuve de Nankin entraîne et dépose à son embouchure : cette île est fort considérable, elle a plus de vingt lieues de longueur sur cinq ou six de largeur. (Voyez Lettres édif., Recueil XI, page 234.)

Le Pô, le Trento, l’Athésis et les autres rivières de l’Italie amènent une grande quantité de terres dans les lagunes de Venise, surtout dans le temps des inondations, en sorte que peu à peu elles se remplissent ; elles sont déjà sèches en plusieurs endroits dans le temps du reflux, et il n’y a plus que les canaux, que l’on entretient avec une grande dépense, qui aient un peu de profondeur. À l’embouchure du Nil, à celle du Gange et de l’Inde, à celle de la rivière de la Plata au Brésil, à celle de la rivière de Nankin à la Chine, et à l’embouchure de plusieurs autres fleuves, on trouve des terres et des sables accumulés. La Loubère, dans son Voyage de Siam, dit que les bancs de sable et de terre augmentent tous les jours à l’embouchure des grandes rivières de l’Asie, par les limons et les sédiments qu’elles y apportent, en sorte que la navigation de ces rivières devient tous les jours plus difficile, et deviendra un jour impossible : on peut dire la même chose des grandes rivières de l’Europe, et sur-