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pale et la première, parce qu’elle est la plus constante et qu’elle agit sans interruption ; mais on doit aussi admettre comme cause l’action des vents ; ils agissent même à la surface de l’eau avec une tout autre violence que les marées, et l’agitation qu’ils communiquent à la mer est bien plus considérable pour les effets extérieurs ; elle s’étend même à des profondeurs considérables, comme on le voit par les matières qui se détachent, par la tempête, du fond des mers, et qui ne sont presque jamais rejetées sur les rivages que dans les temps d’orages.

Nous avons dit qu’entre les tropiques, et même à quelques degrés au delà, il règne continuellement un vent d’est : ce vent, qui contribue au mouvement général de la mer d’orient en occident, est aussi ancien que le flux et le reflux, puisqu’il dépend du cours du soleil et de la raréfaction de l’air, produite par la chaleur de cet astre. Voilà donc deux causes de mouvement réunies, et plus grandes sous l’équateur que partout ailleurs : la première, le flux et le reflux, qui, comme l’on sait, est plus sensible dans les climats méridionaux ; et la seconde, le vent d’est qui souffle continuellement dans ces mêmes climats. Ces deux causes ont concouru, depuis la formation du globe, à produire les mêmes effets, c’est-à-dire à faire mouvoir les eaux d’orient en occident, et à les agiter avec plus de force dans cette partie du monde que dans toutes les autres ; c’est pour cela que les plus grandes inégalités de la surface du globe se trouvent entre les tropiques. La partie de l’Afrique comprise entre ces deux cercles n’est, pour ainsi dire, qu’un groupe de montagnes dont les différentes chaînes s’étendent, pour la plupart, d’orient en occident, comme on peut s’en assurer en considérant la direction des grands fleuves de cette partie de l’Afrique : il en est de même de la partie de l’Asie et de celle de l’Amérique qui sont comprises entre les tropiques, et l’on doit juger de l’inégalité de la surface de ces climats par la quantité de hautes montagnes et d’îles qu’on y trouve.

De la combinaison du mouvement général de la mer d’orient en occident, de celui du flux et du reflux, de celui que produisent les courants, et encore de celui que forment les vents, il a résulté une infinité de différents effets, tant sur le fond de la mer que sur les côtes et les continents. Varénius dit qu’il est très probable que les golfes et les détroits ont été formés par l’effort réitéré de l’océan contre les terres ; que la mer Méditerranée, les golfes d’Arabie, de Bengale et de Cambaye, ont été formés par l’irruption des eaux, aussi bien que les détroits entre la Sicile et l’Italie, entre Ceylan et l’Inde, entre la Grèce et l’Eubée, et qu’il en est de même du détroit des Manilles, de celui de Magellan et de celui de Danemark ; qu’une preuve des irruptions de l’océan sur les continents, qu’une preuve qu’il a abandonné différents terrains, c’est qu’on ne trouve que très peu d’îles dans le milieu des grandes mers, et jamais un grand nombre d’îles voisines les unes des autres ; que dans l’espace immense qu’occupe la mer Pacifique à peine trouve-t-on deux ou trois petites îles vers le milieu ; que dans le vaste Océan Atlantique, entre l’Afrique et le Brésil, on ne trouve que les petites îles de Sainte-Hélène et de l’Ascension, mais que toutes les îles sont auprès des grands continents, comme les îles de l’Archipel auprès du continent de l’Europe et de l’Asie, les Canaries auprès de l’Afrique, toutes les îles de la mer des Indes auprès du continent oriental, les îles Antilles auprès de celui de l’Amérique, et qu’il n’y a que les Açores qui soient fort avancées dans la mer entre l’Europe et l’Amérique.

Les habitants de Ceylan disent que leur île a été séparée de la presqu’île de l’Inde par une irruption de l’océan, et cette tradition populaire est assez vraisemblable ; on croit aussi que l’île de Sumatra a été séparée de Malaye : le grand nombre d’écueils et de bancs de sable qu’on trouve entre deux semble le prouver. Les Malabares assurent que les îles Maldives faisaient partie du continent de l’Inde, et en général on peut croire que toutes les îles orientales ont été séparées des continents par une irruption de l’océan. (Voyez Varen. Geogr., p. 203, 217 et 220.)