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sion, et finissent bientôt par se dégoûter : d’autres au contraire, et ce sont les plus savants, après s’être rempli la tête de noms, de phrases, de méthodes particulières, viennent à en adopter quelqu’une, ou s’occupent à en faire une nouvelle, et travaillant ainsi toute leur vie sur une même ligne et dans une fausse direction, et voulant tout ramener à leur point de vue particulier, ils se rétrécissent l’esprit, cessent de voir les objets tels qu’ils sont, et finissent par embarrasser la science et la charger du poids étranger de toutes leurs idées.

On ne doit donc pas regarder les méthodes que les auteurs nous ont données sur l’histoire naturelle en général, ou sur quelques-unes de ses parties, comme les fondements de la science, et on ne doit s’en servir que comme de signes dont on est convenu pour s’entendre. En effet, ce ne sont que des rapports arbitraires et des points de vue différents sous lesquels on a considéré les objets de la nature, et en ne faisant usage des méthodes que dans cet esprit, on peut en tirer quelque utilité ; car quoique cela ne paraisse pas fort nécessaire, cependant il pourrait être bon qu’on sût toutes les espèces de plantes dont les feuilles se ressemblent, toutes celles dont les fleurs sont semblables, toutes celles qui nourrissent de certaines espèces d’insectes[NdÉ 1], toutes celles qui ont un certain nombre d’étamines, toutes celles qui ont de certaines glandes excrétoires ; et de même dans les animaux, tous ceux qui ont un certain nombre de mamelles, tous ceux qui ont un certain nombre de doigts. Chacune de ces méthodes n’est, à parler vrai, qu’un dictionnaire où l’on trouve les noms rangés dans un ordre relatif à cette idée, et par conséquent aussi arbitraire que l’ordre alphabétique ; mais l’avantage qu’on en pourrait tirer, c’est qu’en comparant tous ces résultats, on se retrouverait enfin à la vraie méthode, qui est la description complète et l’histoire exacte de chaque chose en particulier.

C’est ici le principal but qu’on doive se proposer : on peut se servir d’une méthode déjà faite comme d’une commodité pour étudier, on doit la regarder comme une facilité pour s’entendre ; mais le seul et le vrai moyen d’avancer la science est de travailler à la description et à l’histoire des différentes choses qui en font l’objet.

Les choses par rapport à nous ne sont rien en elles-mêmes, elles ne sont encore rien lorsqu’elles ont un nom ; mais elles commencent à exister pour nous lorsque nous leur connaissons des rapports, des propriétés ; ce n’est même que par ces rapports que nous pouvons leur donner une définition : or la définition, telle qu’on la peut faire par une phrase, n’est encore

  1. La question des rapports qui existent entre les plantes et les insectes a pris une importance exceptionnelle depuis que Darwin a mis en relief le rôle considérable joué par les insectes dans la fécondation des plantes. Il est devenu, par suite, fort utile d’établir la liste des insectes qui fréquentent habituellement chaque espèce de plantes. Quelques tableaux de ce genre ont déjà été donnés, notamment par Hermann Müller (Die Befruchtung der Blumen durch Insecten). Voyez aussi : J. Lubbock, Insectes et fleurs.