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vallées et donné la figure aux contours des montagnes, auront usé latéralement les matières dont la montagne est composée, et les auront dégradées d’autant plus qu’elles auront été plus molles ; en sorte que les couches supérieures étant les plus tendres, auront souffert la plus grande diminution sur leur largeur, et auront été usées latéralement plus que les autres ; les couches suivantes auront résisté un peu davantage, et celles de la base étant plus anciennes, plus solides, et formées d’une matière plus compacte et plus dure, auront été plus en état que toutes les autres de se défendre contre l’action des causes extérieures, et elles n’auront souffert que peu ou point de diminution latérale par le frottement des eaux : c’est là l’une des causes auxquelles on peut attribuer l’origine de la pente des montagnes ; cette pente sera devenue encore plus douce à mesure que les terres du sommet et les graviers auront coulé et auront été entraînés par les eaux des pluies, et c’est par ces deux raisons que toutes les collines et les montagnes, qui ne sont composées que de pierres calcinables ou d’autres matières lapidifiques calcinables, ont une pente qui n’est jamais aussi rapide que celle des montagnes composées de roc vif et de caillou en grande masse, qui sont ordinairement coupées à plomb à des hauteurs très considérables, parce que dans ces masses de matières vitrifiables les lits supérieurs, aussi bien que les lits inférieurs, sont d’une très grande dureté, et qu’ils ont tous également résisté à l’action des eaux qui n’a pu les user qu’également du haut en bas, et leur donner par conséquent une pente perpendiculaire ou presque perpendiculaire.

Lorsque au-dessus de certaines collines dont le sommet est plat et d’une assez grande étendue, on trouve d’abord de la pierre dure sous la couche de terre végétale, on remarquera, si l’on observe les environs de ces collines, que ce qui paraît en être le sommet ne l’est pas en effet, et que ce dessus de colline n’est que la continuation de la pente insensible de quelque colline plus élevée ; car, après avoir traversé cet espace de terrain, on trouve d’autres éminences qui s’élèvent plus haut, et dont les couches supérieures sont de pierre tendre et les inférieures de pierre dure ; c’est le prolongement de ces dernières couches qu’on retrouve au-dessus de la première colline.

Lorsqu’au contraire on ouvre une carrière à peu près au sommet d’une montagne et dans un terrain qui n’est surmonté d’aucune hauteur considérable, on n’en tire ordinairement que de la pierre tendre, et il faut fouiller très profondément pour trouver la pierre dure ; ce n’est jamais qu’entre ces lits de pierre dure que l’on trouve des bancs de marbres ; ces marbres sont diversement colorés par les terres métalliques que les eaux pluviales introduisent dans les couches par infiltration, après les avoir détachées des autres couches supérieures ; et on peut croire que dans tous les pays où il y a de la pierre on trouverait des marbres si l’on fouillait assez profondément pour arriver aux bancs de pierre dure ; quoto enim loco non suum marmor invenitur ? dit Pline ; c’est en effet une pierre bien plus commune qu’on ne le croit, et qui ne diffère des autres pierres que par la finesse du grain, qui la rend plus compacte et susceptible d’un poli brillant, qualité qui lui est essentielle et de laquelle elle a tiré sa dénomination chez les anciens.

Les fentes perpendiculaires des carrières et les joints des lits de pierre sont souvent remplis et incrustés de certaines concrétions, qui sont tantôt transparentes, comme le cristal, et d’une figure régulière, et tantôt opaques et terreuses ; l’eau coule par les fentes perpendiculaires et elle pénètre même le tissu serré de la pierre ; les pierres qui sont poreuses s’imbibent d’une si grande quantité d’eau que la gelée les fait fendre et éclater. Les eaux pluviales en criblant à travers les lits d’une carrière et pendant le séjour qu’elles font dans les couches de marne, de pierre, de marbre, en détachent les molécules les moins adhérentes et les plus fines, et se chargent de toutes les matières qu’elles peuvent enlever ou dissoudre. Ces eaux coulent d’abord le long des fentes perpendiculaires, elles pénètrent ensuite entre les lits de pierre, elles déposent entre les joints horizontaux aussi bien que dans les fentes perpendiculaires les matières qu’elles ont entraînées, et