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trifiées, que la montagne rejette est si abondante qu’elles enterrent les villes, les forêts, couvrent les campagnes de cent et de deux cents pieds d’épaisseur, et forment quelquefois des collines et des montagnes qui ne sont que des monceaux de ces matières entassées. L’action de ce feu est si grande, la force de l’explosion est si violente qu’elle produit par sa réaction des secousses assez fortes pour ébranler et faire trembler la terre, agiter la mer, renverser les montagnes, détruire les villes et les édifices les plus solides à des distances même très considérables.

Ces effets, quoique naturels, ont été regardés comme des prodiges, et quoiqu’on voie en petit des effets du feu assez semblables à ceux des volcans, le grand, de quelque nature qu’il soit, a si fort le droit de nous étonner que je ne suis pas surpris que quelques auteurs aient pris ces montagnes pour les soupiraux d’un feu central, et le peuple pour les bouches de l’enfer. L’étonnement produit la crainte, et la crainte fait naître la superstition : les habitants de l’île d’Islande croient que les mugissements de leur volcan sont les cris des damnés, et que ses éruptions sont les effets de la fureur et du désespoir de ces malheureux.

Tout cela n’est cependant que du bruit, du feu et de la fumée : il se trouve dans une montagne des veines de soufre, de bitume et d’autres matières inflammables ; il s’y trouve en même temps des minéraux, des pyrites qui peuvent fermenter, et qui fermentent en effet toutes les fois qu’elles sont exposées à l’air ou à l’humidité ; il s’en trouve ensemble une très grande quantité, le feu s’y met et cause une explosion proportionnée à la quantité des matières enflammées, et dont les effets sont aussi plus ou moins grands dans la même proportion ; voilà ce que c’est qu’un volcan pour un physicien, et il lui est facile d’imiter l’action de ces feux souterrains, en mêlant ensemble une certaine quantité de soufre et de limaille de fer qu’on enterre à une certaine profondeur, et de faire ainsi un petit volcan dont les effets sont les mêmes, proportion gardée, que ceux des grands, car il s’enflamme par la seule fermentation, il jette la terre et les pierres dont il est couvert, et il fait de la fumée, de la flamme et des explosions.

Il y a en Europe trois fameux volcans, le mont Etna en Sicile, le mont Hécla en Islande, et le mont Vésuve en Italie près de Naples. Le mont Etna brûle depuis un temps immémorial, ses éruptions sont très violentes, et les matières qu’il rejette si abondantes qu’on peut y creuser jusqu’à 68 pieds de profondeur, où l’on a trouvé des pavés de marbre et des vestiges d’une ancienne ville qui a été couverte et enterrée sous cette épaisseur de terre rejetée, de la même façon que la ville d’Héraclée a été couverte par les matières rejetées du Vésuve. Il s’est formé de nouvelles bouches de feu dans l’Etna en 1650, 1669 et en d’autres temps : on voit les flammes et les fumées de ce volcan depuis Malte, qui en est à 60 lieues ; il s’en élève continuellement de la fumée, et il y a des temps où cette montagne ardente vomit avec impétuosité des flammes et des matières de toute espèce. En 1537, il y eut une éruption de ce volcan qui causa un tremblement de terre dans toute la Sicile pendant douze jours, et qui renversa un très grand nombre de maisons et d’édifices ; il ne cessa que par l’ouverture d’une nouvelle bouche à feu qui brûla tout à cinq lieues aux environs de la montagne ; les cendres rejetées par le volcan étaient si abondantes et lancées avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’en Italie, et des vaisseaux qui étaient éloignés de la Sicile en furent incommodés. Farelli décrit fort au long les embrasements de cette montagne, dont il dit que le pied a 100 lieues de circuit.

Ce volcan a maintenant deux bouches principales : l’une est plus étroite que l’autre ; ces deux ouvertures fument toujours, mais on n’y voit jamais de feu que dans le temps des éruptions ; on prétend qu’on a trouvé des pierres qu’il a lancées jusqu’à soixante mille pas.

En 1683, il arriva un terrible tremblement en Sicile, causé par une violente éruption de ce volcan ; il détruisit entièrement la ville de Catanéa et fit périr plus de 60 000 per-