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mois d’avril, de mai et de juin qu’on éprouve ces tempêtes sur la mer de Guinée, parce qu’il n’y règne aucun vent réglé dans cette saison ; et plus bas, en descendant à Loango, la saison de ces orages sur la mer voisine des côtes de Loango est celle des mois de janvier, février, mars et avril. De l’autre côté de l’Afrique, au cap de Gardafu, il s’élève de ces espèces de tempêtes au mois de mai, et les nuages qui les produisent sont ordinairement au nord, comme ceux du cap de Bonne-Espérance.

Toutes ces tempêtes sont donc produites par des vents qui sortent d’un nuage et qui ont une direction, soit du nord au sud, soit du nord-est au sud-ouest, etc. ; mais il y a d’autres espèces de tempêtes que l’on appelle des ouragans, qui sont encore plus violentes que celles-ci, et dans lesquelles les vents semblent venir de tous les côtés ; ils ont un mouvement de tourbillon et de tournoiement auquel rien ne peut résister. Le calme précède ordinairement ces horribles tempêtes, et la mer paraît alors aussi unie qu’une glace ; mais dans un instant la fureur des vents élève les vagues jusqu’aux nues. Il y a des endroits dans la mer où l’on ne peut pas aborder, parce que alternativement il y a toujours ou des calmes ou des ouragans de cette espèce ; les Espagnols ont appelé ces endroits calmes et tornados : les plus considérables sont auprès de la Guinée à 2 ou 3 degrés latitude nord ; ils ont environ 300 ou 350 lieues de longueur sur autant de largeur, ce qui fait un espace de plus de 100 000 lieues carrées ; le calme ou les orages sont presque continuels sur cette côte de Guinée, et il y a des vaisseaux qui y ont été retenus trois mois sans pouvoir en sortir.

Lorsque les vents contraires arrivent à la fois dans le même endroit, comme à un centre, ils produisent ces tourbillons et ces tournoiements d’air par la contrariété de leur mouvement, comme les courants contraires produisent dans l’eau des gouffres ou des tournoiements ; mais lorsque ces vents trouvent en opposition d’autres vents qui contrebalancent de loin leur action, alors ils tournent autour d’un grand espace dans lequel il règne un calme perpétuel, et c’est ce qui forme les calmes dont nous parlons, et desquels il est souvent impossible de sortir. Ces endroits de la mer sont marqués sur les globes de Sénex, aussi bien que les directions des différents vents qui règnent ordinairement dans toutes les mers. À la vérité, je serais porté à croire que la contrariété seule des vents ne pourrait pas produire cet effet, si la direction des côtes et la forme particulière du fond de la mer dans ces endroits n’y contribuaient pas ; j’imagine donc que les courants causés en effet par les vents, mais dirigés par la forme des côtes et des inégalités du fond de la mer, viennent tous aboutir dans ces endroits, et que leurs directions opposées et contraires forment les tornados en question dans une plaine environnée de tous côtés d’une chaîne de montagnes.

Les gouffres ne paraissent être autre chose que des tournoiements d’eau causés par l’action de deux ou de plusieurs courants opposés ; l’Euripe, si fameux par la mort d’Aristote, absorbe et rejette alternativement les eaux sept fois en vingt-quatre heures : ce gouffre est près des côtes de la Grèce. Le Carybde, qui est près du détroit de Sicile, rejette et absorbe les eaux trois fois en vingt-quatre heures : au reste, on n’est pas trop sûr du nombre de ces alternatives de mouvement dans ces gouffres. Le docteur Placentia, dans son Traité qui a pour titre l’Egeo redivivo, dit que l’Euripe a des mouvements irréguliers pendant dix-huit ou dix-neuf jours de chaque mois, et des mouvements réguliers pendant onze jours ; qu’ordinairement il ne grossit que d’un pied et rarement de deux pieds ; il dit aussi que les auteurs ne s’accordent pas sur le flux et le reflux de l’Euripe ; que les uns disent qu’il se fait deux fois, d’autres sept, d’autres onze, d’autres douze, d’autres quatorze fois en vingt-quatre heures, mais que Loirius, l’ayant examiné de suite pendant un jour entier, il l’avait observé à chaque six heures d’une manière évidente et avec un mouvement si violent, qu’à chaque fois il pouvait faire tourner alternativement les roues d’un moulin.