Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plongeurs assurent aussi qu’il y a d’autres petites inégalités formées par des rochers, et qu’il fait fort froid dans les vallées de la mer. En général, dans les grandes mers les profondeurs augmentent, comme nous l’avons dit, d’une manière assez uniforme, en s’éloignant ou en s’approchant des côtes. Par la carte que M. Buache a dressée de la partie de l’océan comprise entre les côtes d’Afrique et d’Amérique, et par les coupes qu’il donne de la mer depuis le cap Tagrin jusqu’à la côte de Rio-Grande, il paraît qu’il y a des inégalités dans tout l’océan comme sur la terre ; que les Abrolhos, où il y a des vigies et où l’on voit quelques rochers à fleur d’eau, ne sont que des sommets de très grosses et de très grandes montagnes, dont l’île Dauphine est une des plus hautes pointes ; que les îles du cap Vert ne sont de même que des sommets de montagnes ; qu’il y a un grand nombre d’écueils dans cette mer, où l’on est obligé de mettre des vigies ; qu’ensuite le terrain, tout autour de ces Abrolhos, descend jusqu’à des profondeurs inconnues, et aussi autour des îles.

À l’égard de la qualité des différents terrains qui forment le fond de la mer, comme il est impossible de l’examiner de près, et qu’il faut s’en rapporter aux plongeurs et à la sonde, nous ne pouvons rien dire de bien précis ; nous savons seulement qu’il y a des endroits couverts de bourbe et de vase à une grande épaisseur, et sur lesquels les ancres n’ont point de tenue : c’est probablement dans ces endroits que se dépose le limon des fleuves ; dans d’autres endroits ce sont des sables semblables aux sables que nous connaissons, et qui se trouvent de même de différente couleur et de différente grosseur, comme nos sables terrestres ; dans d’autres ce sont des coquillages amoncelés, des madrépores, des coraux et d’autres productions animales, lesquelles commencent à s’unir, à prendre corps et à former des pierres ; dans d’autres ce sont des fragments de pierre, des graviers, et même souvent des pierres toutes formées et des marbres ; par exemple, dans les îles Maldives on ne bâtit qu’avec de la pierre dure que l’on tire sous les eaux à quelques brasses de profondeur. À Marseille on tire de très beau marbre du fond de la mer ; j’en ai vu plusieurs échantillons ; et bien loin que la mer altère et gâte les pierres et les marbres, nous prouverons, dans notre Discours sur les minéraux, que c’est dans la mer qu’ils se forment et qu’ils se conservent, au lieu que le soleil, la terre, l’air et l’eau des pluies les corrompent et les détruisent.

Nous ne pouvons donc pas douter que le fond de la mer ne soit composé comme la terre que nous habitons, puisqu’en effet on y trouve les mêmes matières, et qu’on tire de la surface du fond de la mer les mêmes choses que nous tirons de la surface de la terre ; et de même qu’on trouve au fond de la mer de vastes endroits couverts de coquillages, de madrépores et d’autres ouvrages des insectes de la mer, on trouve aussi sur la terre une infinité de carrières et de bancs de craie et d’autres matières remplies de ces mêmes coquillages, de ces madrépores, etc. : en sorte qu’à tous égards les parties découvertes du globe ressemblent à celles qui sont couvertes par les eaux, soit pour la composition et pour le mélange des matières, soit par les inégalités de la superficie.

C’est à ces inégalités du fond de la mer qu’on doit attribuer l’origine des courants ; car on sent bien que, si le fond de l’océan était égal et de niveau, il n’y aurait dans la mer d’autre courant que le mouvement général d’orient en occident, et quelques autres mouvements qui auraient pour cause l’action des vents et qui en suivraient la direction ; mais une preuve certaine que la plupart des courants sont produits par le flux et le reflux, et dirigés par les inégalités du fond de la mer, c’est qu’ils suivent régulièrement les marées et qu’ils changent de direction à chaque flux et à chaque reflux. Voyez, sur cet article, ce que dit Pietro-della-Valle, au sujet des courants du golfe de Cambaie (vol. VI, pag. 363), et le rapport de tous les navigateurs, qui assurent unanimement que dans les endroits où le flux et le reflux de la mer est le plus violent et le plus impétueux, les courants y sont aussi plus rapides.