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coule de même d’orient en occident par les détroits du Japon ; la mer du Japon coule vers la Chine ; l’Océan Indien coule vers l’occident dans le détroit de Java et par les détroits des autres îles de l’Inde. On ne peut donc pas douter que la mer n’ait un mouvement constant et général d’orient en occident, et l’on est assuré que l’Océan Atlantique coule vers l’Amérique, et que la mer Pacifique s’en éloigne, comme on le voit évidemment au cap des Courants entre Lima et Panama. (Voyez Varenii Geogr. general., p. 119.)

Au reste, les alternatives du flux et du reflux sont régulières et se font de six heures et demie en six heures et demie sur la plupart des côtes de la mer, quoique à différentes heures, suivant le climat et la position des côtes ; ainsi les côtes de la mer sont battues continuellement des vagues, qui enlèvent à chaque fois de petites parties de matières qu’elles transportent au loin, et qui se déposent au fond ; et de même les vagues portent sur les plages basses des coquilles, des sables qui restent sur les bords, et qui, s’accumulant peu à peu par couches horizontales, forment, à la fin, des dunes et des hauteurs aussi élevées que des collines, et qui sont en effet des collines tout à fait semblables aux autres collines, tant par leur forme que par leur composition intérieure : ainsi la mer apporte beaucoup de productions marines sur les plages basses, et elle emporte au loin toutes les matières qu’elle peut enlever des côtes élevées contre lesquelles elle agit, soit dans le temps du flux, soit dans le temps des orages et des grands vents.

Pour donner une idée de l’effort que fait la mer agitée contre les hautes côtes, je crois devoir rapporter un fait qui m’a été assuré par une personne très digne de foi, et que j’ai cru d’autant plus facilement que j’ai vu moi-même quelque chose d’approchant. Dans la principale des îles Orcades, il y a des côtes composées de rochers coupés à plomb et perpendiculaires à la surface de la mer, en sorte qu’en se plaçant au-dessus de ces rochers, on peut laisser tomber un plomb jusqu’à la surface de l’eau, en mettant la corde au bout d’une perche de 9 pieds. Cette opération, que l’on peut faire dans le temps que la mer est tranquille, a donné la mesure de la hauteur de la côte, qui est de 200 pieds. La marée dans cet endroit est fort considérable, comme elle l’est ordinairement dans tous les endroits où il y a des terres avancées et des îles ; mais lorsque le vent est fort, ce qui est très ordinaire en Écosse, et qu’en même temps la marée monte, le mouvement est si grand et l’agitation si violente, que l’eau s’élève jusqu’au sommet des rochers qui bordent la côte, c’est-à-dire à 200 pieds de hauteur, et qu’elle y tombe en forme de pluie ; elle jette même à cette hauteur des graviers et des pierres qu’elle détache du pied des rochers, et quelques-unes de ces pierres, au rapport du témoin oculaire que je cite ici, sont plus larges que la main.

J’ai vu moi-même dans le port de Livourne, où la mer est beaucoup plus tranquille, et où il n’y a point de marée, une tempête, au mois de décembre 1731, où l’on fut obligé de couper les mâts de quelques vaisseaux qui étaient à la rade, dont les ancres avaient quitté ; j’ai vu, dis-je, l’eau de la mer s’élever au-dessus des fortifications, qui me parurent avoir une élévation très considérable au-dessus des eaux, et comme j’étais sur celles qui sont les plus avancées, je ne pus regagner la ville sans être mouillé de l’eau de la mer beaucoup plus qu’on ne peut l’être par la pluie la plus abondante.

Ces exemples suffisent pour faire entendre avec quelle violence la mer agit contre les côtes ; cette violente agitation détruit, use[1], ronge et diminue peu à peu le terrain des côtes ; la mer emporte toutes ces matières et les laisse tomber dès que le calme a succédé

  1. Une chose assez remarquable sur les côtes de Syrie et de Phénicie, c’est qu’il paraît que les rochers, qui sont le long de cette côte, ont été anciennement taillés en beaucoup d’endroits en forme d’auges de deux ou trois aunes de longueur, et larges à proportion, pour y recevoir l’eau de la mer et en faire du sel par l’évaporation, mais, nonobstant la dureté de la pierre, ces auges sont, à l’heure qu’il est, presque entièrement usées et aplanies par le battement continuel des vagues. (Voyez les Voyages de Shaw, vol. II, p. 69.)