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possible de prononcer juste, parce qu’il n’y a pas plus de raison de rapporter cette espèce à l’un plutôt qu’à l’autre de ces deux genres : en effet, se proposer de faire une méthode parfaite, c’est se proposer un travail impossible ; il faudrait un ouvrage qui représentât exactement tous ceux de la nature, et au contraire tous les jours il arrive qu’avec toutes les méthodes connues, et avec tous les secours qu’on peut tirer de la botanique la plus éclairée, on trouve des espèces qui ne peuvent se rapporter à aucun des genres compris dans ces méthodes : ainsi l’expérience est d’accord avec la raison sur ce point, et l’on doit être convaincu qu’on ne peut pas faire une méthode générale et parfaite en botanique[NdÉ 1]. Cependant il semble que la recherche de cette méthode générale soit une espèce de pierre philosophale pour les botanistes, qu’ils ont tous cherchée avec des peines et des travaux infinis ; tel a passé quarante ans, tel autre en a passé cinquante à faire son système, et il est arrivé en botanique ce qui est arrivé en chimie, c’est qu’en cherchant la pierre philosophale que l’on n’a pas trouvée, on a trouvé une infinité de choses utiles ; et de même en voulant faire une méthode générale et parfaite en botanique, on a plus étudié et mieux connu les plantes et leurs usages : serait-il vrai qu’il faut un but imaginaire aux hommes pour les soutenir dans leurs travaux, et que s’ils étaient bien persuadés qu’ils ne feront que ce qu’en effet ils peuvent faire, ils ne feraient rien du tout ?

Cette prétention qu’ont les botanistes d’établir des systèmes généraux, parfaits et méthodiques, est donc peu fondée ; aussi leurs travaux n’ont pu aboutir qu’à nous donner des méthodes défectueuses, lesquelles ont été successivement détruites les unes par les autres, et ont subi le sort commun à tous les systèmes fondés sur des principes arbitraires ; et ce qui a le plus contribué à renverser les unes de ces méthodes par les autres, c’est la liberté que les botanistes se sont donnée de choisir arbitrairement une seule partie dans les plantes, pour en faire le caractère spécifique : les uns ont établi leur méthode sur la figure des feuilles, les autres sur leur position, d’autres sur la forme des fleurs, d’autres sur le nombre de leurs pétales, d’autres enfin sur le nombre des étamines ; je ne finirais pas si je voulais rapporter en détail toutes les méthodes qui ont été imaginées, mais je ne veux parler ici que de celles qui ont été reçues avec applaudissement, et qui ont été suivies chacune à leur tour, sans que l’on ait fait assez d’attention à cette erreur de principe qui leur est commune à toutes, et qui consiste à vouloir juger d’un tout, et de la combinaison de plusieurs touts, par une seule partie, et par la comparaison des différences de cette seule partie : car

  1. En botanique comme en zoologie, il faudrait, pour qu’une méthode fût parfaite, qu’elle tînt compte non seulement de tous les caractères de l’adulte, mais encore de la filiation de chaque forme animale ou végétale, filiation que nous ne pouvons jamais suivre par l’observation directe, et que, pour beaucoup de formes, nous pouvons à peine soupçonner, dans l’état actuel de la science.