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pluies abondantes, qui tombent dans ces climats pendant la moitié de l’année, entraînent les sables et les terres du dessus des montagnes dans les vallons, d’où les torrents les charrient dans le canal du Nil, qui en emporte une bonne partie en Égypte, où il les dépose dans ses débordements.

Le Nil n’est pas le seul fleuve dont les inondations soient périodiques et annuelles : on a appelé la rivière de Pégu le Nil indien, parce que ses débordements se font tous les ans régulièrement ; il inonde ce pays à plus de trente lieues de ses bords, et il laisse, comme le Nil, un limon qui fertilise si fort la terre, que les pâturages y deviennent excellents pour le bétail, et que le riz y vient en si grande abondance qu’on en charge tous les ans un grand nombre de vaisseaux, sans que le pays en manque. (Voyez Voyages d’Ovington, t. II, p. 290.) Le Niger, ou ce qui revient au même, la partie supérieure du Sénégal, déborde aussi comme le Nil, et l’inondation, qui couvre tout le plat pays de la Nigritie, commence à peu près dans le même temps que celle du Nil, vers le 15 juin ; elle augmente aussi pendant quarante jours. Le fleuve de la Plata au Brésil déborde aussi tous les ans, et dans le même temps que le Nil ; le Gange, l’Indus, l’Euphrate et quelques autres débordent aussi tous les ans ; mais tous les autres fleuves n’ont pas des débordements périodiques, et, quand il arrive des inondations, c’est un effet de plusieurs causes qui se combinent pour fournir une plus grande quantité d’eau qu’à l’ordinaire et pour retarder en même temps la vitesse du fleuve.

Nous avons dit que, dans presque tous les fleuves, la pente de leur lit va toujours en diminuant jusqu’à leur embouchure d’une manière assez insensible ; mais il y en a dont la pente est très brusque dans certains endroits, ce qui forme ce qu’on appelle une cataracte, qui n’est autre chose qu’une chute d’eau plus vive que le courant ordinaire du fleuve. Le Rhin, par exemple, a deux cataractes, l’une à Bilefeld et l’autre auprès de Schaffhouse ; le Nil en a plusieurs, et entre autres deux qui sont très violentes et qui tombent de fort haut entre deux montagnes ; la rivière Vologda en Moscovie a aussi deux cataractes auprès de Ladoga ; le Zaïré, fleuve de Congo, commence par une forte cataracte qui tombe du haut d’une montagne ; mais la plus fameuse cataracte est celle de la rivière Niagara en Canada ; elle tombe de cent cinquante-six pieds de hauteur perpendiculaire comme un torrent prodigieux, et elle a plus d’un quart de lieue de largeur ; la brume ou le brouillard que l’eau fait en tombant se voit de cinq lieues et s’élève jusqu’aux nues ; il s’y forme un très bel arc-en-ciel lorsque le soleil donne dessus. Au-dessous de cette cataracte, il y a des tournoiements d’eau si terribles, qu’on ne peut y naviguer jusqu’à six milles de distance, et au-dessus de la cataracte la rivière est beaucoup plus étroite qu’elle ne l’est dans les terres supérieures. (Voyez Transact. philosoph. abr., vol. VI, part. 2, pag. 119.) Voici la description qu’en donne le Père Charlevoix :

« Mon premier soin fut de visiter la plus belle cascade qui soit peut-être dans la nature ; mais je reconnus d’abord que le baron de La Hontan s’était trompé sur sa hauteur et sur sa figure, de manière à faire juger qu’il ne l’avait point vue.

» Il est certain que si on mesure sa hauteur par les trois montagnes qu’il faut franchir d’abord, il n’y a pas beaucoup à rabattre des six cents pieds que lui donne la carte de M. Delisle, qui, sans doute, n’a avancé ce paradoxe que sur la foi du baron de La Hontan et du P. Hennepin. Mais, après que je fus arrivé au sommet de la troisième montagne, j’observai que dans l’espace de trois lieues que je fis ensuite jusqu’à cette chute d’eau, quoiqu’il faille quelquefois monter, il faut encore plus descendre, et c’est à quoi ces voyageurs paraissent n’avoir pas fait assez d’attention. Comme on ne peut approcher la cascade que de côté, ni la voir que de profil, il n’est pas aisé d’en mesurer la hauteur avec les instruments : on a voulu le faire avec une longue corde attachée à une longue perche, et, après avoir souvent réitéré cette manière, on n’a trouvé que cent quinze ou cent vingt pieds de profondeur ; mais il n’est pas possible de s’assurer si la perche n’a