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plus grande commodité, et, quoique le grès soit difficile à travailler, il n’a cependant qu’un genre de dureté, c’est de résister à des coups violents sans s’éclater ; car le frottement l’use peu à peu et le réduit aisément en sable, à l’exception de certains clous noirâtres qu’on y trouve et qui sont d’une matière si dure que les meilleures limes ne peuvent y mordre ; le roc vif est vitrifiable comme le grès et il est de la même nature, seulement il est plus dur et les parties en sont mieux liées ; il y a aussi plusieurs clous semblables à ceux dont nous venons de parler, comme on peut le remarquer aisément sur les sommets des hautes montagnes, qui sont pour la plupart de cette espèce de rocher, et sur lesquels on ne peut pas marcher un peu de temps sans s’apercevoir que ces clous coupent et déchirent le cuir des souliers. Ce roc vif qu’on trouve au-dessus des hautes montagnes, et que je regarde comme une espèce de granit, contient une grande quantité de paillettes talqueuses, et il a tous les genres de dureté, au point de ne pouvoir être travaillé qu’avec une peine infinie.

J’ai examiné de près la nature de ces clous qu’on trouve dans le grès et dans le roc vif, et j’ai reconnu que c’est une matière métallique fondue et calcinée à un feu très violent, et qui ressemble parfaitement à de certaines matières rejetées par les volcans, dont j’ai vu une grande quantité étant en Italie, où l’on me dit que les gens du pays les appelaient schiarri. Ce sont des masses noirâtres fort pesantes sur lesquelles le feu, l’eau ni la lime ne peuvent faire aucune impression, dont la matière est différente de celle de la lave ; car celle-ci est une espèce de verre, au lieu que l’autre paraît plus métallique que vitrée. Les clous du grès et du roc vif ressemblent beaucoup à cette première matière, ce qui semble prouver encore que toutes ces matières ont été autrefois liquéfiées par le feu.

On voit quelquefois en certains endroits, au plus haut des montagnes, une prodigieuse quantité de blocs d’une grandeur considérable de ce roc vif, mêlé de paillettes talqueuses ; leur position est si irrégulière, qu’ils paraissent avoir été lancés et jetés au hasard, et on croirait qu’ils sont tombés de quelque hauteur voisine, si les lieux où on les trouve n’étaient pas élevés au-dessus de tous les autres lieux ; mais leur substance vitrifiable et leur figure anguleuse et carrée, comme celle des rochers de grès, nous découvre une origine commune entre ces matières ; ainsi, dans les grandes couches de sable vitrifiable, il se forme des blocs de grès et de roc vif, dont la figure et la situation ne suivent pas exactement la position horizontale de ces couches ; peu à peu les pluies ont entraîné, du sommet des collines et des montagnes, le sable qui les couvrait d’abord, et elles ont commencé par sillonner et découper ces collines dans les intervalles qui se sont trouvés entre les noyaux de grès, comme on voit que sont découpées les collines de Fontainebleau. Chaque pointe de colline répond à un noyau qui fait une carrière de grès, et chaque intervalle a été creusé et abaissé par les eaux, qui ont fait couler le sable dans la plaine : de même les plus hautes montagnes, dont les sommets sont composés de roc vif et terminés par ces blocs anguleux dont nous venons de parler, auront autrefois été recouvertes de plusieurs couches de sable vitrifiable dans lequel ces blocs se seront formés, et, les pluies ayant entraîné tout le sable qui les environnait, ils seront demeurés au sommet des montagnes dans la position où ils auront été formés. Ces blocs présentent ordinairement des pointes au-dessus et à l’intérieur ; ils vont en augmentant de grosseur à mesure qu’on descend et qu’on fouille plus profondément, souvent même un bloc en rejoint un autre par la base, ce second un troisième, et ainsi de suite en laissant entre eux des intervalles irréguliers ; et comme, par la succession des temps, les pluies ont enlevé et entraîné tout le sable qui couvrait ces différents noyaux, il ne reste au-dessus des hautes montagnes que les noyaux mêmes qui forment des pointes plus ou moins élevées, et c’est là l’origine des pics ou des cornes de montagnes.

Car supposons, comme il est facile de le prouver par les productions marines qu’on