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Or ces montagnes, dont nous venons de faire l’énumération, sont toutes plus élevées, plus considérables et plus étendues en longueur et en largeur que les montagnes des pays septentrionaux.

À l’égard de la direction de ces chaînes de montagnes, on verra que les Alpes, prises dans toute leur étendue, forment une chaîne qui traverse le continent entier depuis l’Espagne jusqu’à la Chine ; ces montagnes commencent aux bords de la mer en Galice, arrivent aux Pyrénées, traversent la France par le Vivarais et l’Auvergne, séparent l’Italie, s’étendent en Allemagne et au-dessus de la Dalmatie jusqu’en Macédoine, et de là se joignent avec les montagnes d’Arménie, le Caucase, le Taurus, l’Imaüs, et s’étendent jusqu’à la mer de Tartarie : de même, le mont Atlas traverse le continent entier de l’Afrique d’occident en orient, depuis le royaume de Fez jusqu’au détroit de la mer Rouge ; les monts de la Lune ont aussi la même direction.

Mais, en Amérique, la direction est toute contraire, et les chaînes des Cordillères et des autres montagnes s’étendent du nord au sud plus que d’orient en occident.

Ce que nous observons ici, sur les plus grandes éminences du globe, peut s’observer aussi sur les plus grandes profondeurs de la mer. Les plus vastes et les plus hautes mers sont plus voisines de l’équateur que des pôles, et il résulte de cette observation que les plus grandes inégalités du globe se trouvent dans les climats méridionaux. Ces irrégularités, qui se trouvent à la surface du globe, sont la cause d’une infinité d’effets ordinaires et extraordinaires ; par exemple, entre les rivières de l’Inde et du Gange, il y a une large chersonèse qui est divisée dans son milieu par une chaîne de hautes montagnes que l’on appelle le Gate, qui s’étend du nord au sud depuis les extrémités du mont Caucase jusqu’au cap de Comorin ; de l’un des côtés est Malabar, et de l’autre Coromandel ; du côté de Malabar, entre cette chaîne de montagnes et la mer, la saison de l’été est depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril, et, pendant tout ce temps, le ciel est serein et sans aucune pluie ; de l’autre côté de la montagne, sur la côte de Coromandel, cette même saison est leur hiver, et il y pleut tous les jours en abondance ; et, du mois d’avril au mois de septembre, c’est la saison de l’été, tandis que c’est celle de l’hiver en Malabar ; en sorte qu’en plusieurs endroits, qui ne sont guère éloignés que de vingt lieues de chemin, on peut, en croisant la montagne, changer de saison. On dit que la même chose se trouve au cap Razalgat, en Arabie, et de même à la Jamaïque, qui est séparée dans son milieu par une chaîne de montagnes dont la direction est de l’est à l’ouest, et que les plantations qui sont au midi de ces montagnes éprouvent la chaleur de l’été, tandis que celles qui sont au nord souffrent la rigueur de l’hiver dans ce même temps. Le Pérou, qui est situé sous la ligne et qui s’étend à environ mille lieues vers le midi, est divisé en trois parties longues et étroites que les habitants du Pérou appellent Llanos, Sierras et Andes ; les Llanos, qui sont les plaines, s’étendent tout le long de la côte de la mer du Sud ; les Sierras sont des collines avec quelques vallées, et les Andes sont ces fameuses Cordillères, les plus hautes montagnes que l’on connaisse ; les llanos ont dix lieues plus ou moins de largeur ; dans plusieurs endroits, les sierras ont vingt lieues de largeur et les Andes autant, quelquefois plus, quelquefois moins ; la largeur est de l’est à l’ouest, et la longueur, du nord au sud. Cette partie du monde a ceci de remarquable : 1o dans les llanos, le long de toute cette côte le vent du sud-ouest souffle constamment, ce qui est contraire à ce qui arrive ordinairement dans la zone torride ; 2o il ne pleut ni ne tonne jamais dans les llanos, quoiqu’il y tombe quelquefois un peu de rosée ; 3o il pleut presque continuellement sur les Andes ; 4o dans les sierras, qui sont entre les llanos et les Andes, il pleut depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril.

On s’est aperçu, depuis longtemps, que les chaînes des plus hautes montagnes allaient d’occident en orient ; ensuite, après la découverte du nouveau monde, on a vu qu’il y en avait de fort considérables qui tournaient du nord au sud ; mais personne n’avait décou-