Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un jaune brillant, tantôt semblable à des paillettes d’argent dont on se sert pour sécher l’écriture, n’est autre chose qu’un sable très pur, en quelque façon pourri, presque réduit en ses principes, et qui tend à une décomposition parfaite ; avec le temps, ces paillettes se seraient atténuées et divisées au point qu’elles n’auraient plus eu assez d’épaisseur et de surface pour réfléchir la lumière, et elles auraient acquis toutes les propriétés des glaises : qu’on regarde au grand jour un morceau d’argile, on y apercevra une grande quantité de ces paillettes talqueuses, qui n’ont pas encore entièrement perdu leur forme. Le sable peut donc avec le temps produire l’argile, et celle-ci en se divisant acquiert de même les propriétés d’un véritable limon, matière vitrifiable comme l’argile et qui est du même genre.

Cette théorie est conforme à ce qui se passe tous les jours sous nos yeux : qu’on lave du sable sortant de sa minière, l’eau se chargera d’une assez grande quantité de terre noire, ductile, grasse, de véritable argile. Dans les villes, où les rues sont pavées de grès, les boues sont toujours noires et très grasses, et desséchées elles forment une terre de la même nature que l’argile. Qu’on détrempe et qu’on lave de même de l’argile prise dans un terrain où il n’y a ni grès ni cailloux, il se précipitera toujours au fond de l’eau une assez grande quantité de sable vitrifiable.

Mais ce qui prouve parfaitement que le sable, et même le caillou et le verre, existent dans l’argile et n’y sont que déguisés, c’est que le feu en réunissant les parties de celle-ci, que l’action de l’air et des autres éléments avaient peut-être divisées, lui rend sa première forme. Qu’on mette de l’argile dans un fourneau de réverbère échauffé au degré de la calcination, elle se couvrira au dehors d’un émail très dur ; si, à l’intérieur, elle n’est pas encore vitrifiée, elle aura cependant acquis une très grande dureté, elle résistera à la lime et au burin, elle étincellera sous le marteau, elle aura enfin toutes les propriétés du caillou ; un degré de chaleur de plus la fera couler et la convertira en un véritable verre.

L’argile et le sable sont donc des matières parfaitement analogues et du même genre ; si l’argile en se condensant peut devenir du caillou, du verre, pourquoi le sable en se divisant ne pourrait-il pas devenir de l’argile ? Le verre paraît être la véritable terre élémentaire, et tous les mixtes un verre déguisé ; les métaux, les minéraux, les sels, etc., ne sont qu’une terre vitrescible ; la pierre ordinaire, les autres matières qui lui sont analogues, et les coquilles des testacés, des crustacés, etc., sont les seules substances qu’aucun agent connu n’a pu jusqu’à présent vitrifier, et les seules qui semblent faire une classe à part. Le feu, en réunissant les parties divisées des premières, en fait une matière homogène, dure et transparente à un certain degré, sans aucune diminution de pesanteur, et à laquelle il n’est plus capable de causer aucune altération ; celles-ci, au contraire, dans lesquelles il entre une plus grande quantité de principes actifs et volatils, et qui se calcinent, perdent au feu plus du tiers de leur poids, et reprennent simplement la forme de terre, sans autre altération que la désunion de leurs principes : ces matières exceptées, qui ne sont pas en grand nombre, et dont les combinaisons ne produisent pas de grandes variétés dans la nature, toutes les autres substances, et particulièrement l’argile, peuvent être converties en verre, et ne sont essentiellement, par conséquent, qu’un verre décomposé. Si le feu fait changer promptement de forme à ces substances, en les vitrifiant, le verre lui-même, soit qu’il ait sa nature de verre, ou bien celle de sable ou de caillou, se change naturellement en argile, mais par un progrès lent et insensible.

Dans les terrains où le caillou ordinaire est la pierre dominante, les campagnes en sont ordinairement jonchées ; et si le lieu est inculte et que ces cailloux aient été longtemps exposés à l’air sans avoir été remués, leur superficie supérieure est toujours très blanche, tandis que le côté opposé, qui touche immédiatement à la terre, est très brun et conserve sa couleur naturelle : si on casse plusieurs de ces cailloux, on reconnaîtra que