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fondé à supposer qu’avant la formation des montagnes les matières les plus pesantes étaient au-dessous des moins pesantes, je répondrai que je n’assure rien de général à cet égard, parce qu’il y a plusieurs manières dont cet effet a pu se produire, soit que les matières pesantes fussent au-dessous ou au-dessus, ou placées indifféremment, comme nous les voyons aujourd’hui ; car, pour concevoir comment la mer, ayant d’abord formé une montagne de glaise, l’a ensuite couronnée de rochers, il suffit de faire attention que les sédiments peuvent venir successivement de différents endroits, et qu’ils peuvent être des matières différentes, en sorte que dans un endroit de la mer où les eaux auront déposé d’abord plusieurs sédiments de glaise, il peut très bien arriver que tout d’un coup, au lieu de glaise, les eaux apportent des sédiments pierreux, et cela, parce qu’elles auront enlevé du fond ou détaché des côtes toute la glaise, et qu’ensuite elles auront attaqué les rochers, ou bien parce que les premiers sédiments venaient d’un endroit, et les seconds d’un autre. Au reste, cela s’accorde parfaitement avec les observations, par lesquelles on reconnaît que les lits de terre, de pierre, de gravier, de sable, etc., ne suivent aucune règle dans leur arrangement, ou du moins se trouvent placés indifféremment et comme au hasard les uns au-dessus des autres.

Cependant ce hasard même doit avoir des règles, qu’on ne peut connaître qu’en estimant la valeur des probabilités et la vraisemblance des conjectures. Nous avons vu qu’en suivant notre hypothèse sur la formation du globe, l’intérieur de la terre doit être d’une matière vitrifiée, semblable à nos sables vitrifiables, qui ne sont que des fragments de verre, et dont les glaises sont peut-être les scories ou les parties décomposées ; dans cette supposition, la terre doit être composée dans le centre, et presque jusqu’à la circonférence extérieure, de verre ou d’une matière vitrifiée qui en occupe presque tout l’intérieur, et au-dessus de cette matière on doit trouver les sables, les glaises et les autres scories de cette matière vitrifiée. Ainsi en considérant la terre dans son premier état, c’était d’abord un noyau de verre ou de matière vitrifiée, qui est ou massive comme le verre, ou divisée comme le sable, parce que cela dépend du degré de l’activité du feu qu’elle aura éprouvé ; au-dessus de cette matière étaient les sables, et enfin les glaises ; le limon des eaux et de l’air a produit l’enveloppe extérieure qui est plus ou moins épaisse suivant la situation du terrain, plus ou moins colorée suivant les différents mélanges du limon, des sables et des parties d’animaux ou de végétaux détruits, et plus ou moins féconde suivant l’abondance ou la disette de ces mêmes parties. Pour faire voir que cette supposition, au sujet de la formation des sables et des glaises, n’est pas aussi gratuite qu’on pourrait l’imaginer, nous avons cru devoir ajouter à ce que nous venons de dire quelques remarques particulières.

Je conçois donc que la terre dans le premier état était un globe, ou plutôt un sphéroïde de matière vitrifiée, de verre, si l’on veut, très compact, couvert d’une croûte légère et friable, formée par les scories de la matière en fusion, d’une véritable pierre ponce : le mouvement et l’agitation des eaux et de l’air brisèrent bientôt et réduisirent en poussière cette croûte de verre spongieuse, cette pierre ponce qui était à la surface ; de là les sables qui, en s’unissant, produisirent ensuite les grès et le roc vif, ou, ce qui est la même chose, les cailloux en grande masse, qui doivent, aussi bien que les cailloux en petite masse, leur dureté, leur couleur ou leur transparence et la variété de leurs accidents, aux différents degrés de pureté et à la finesse du grain des sables qui sont entrés dans leur composition.

Ces mêmes sables, dont les parties constituantes s’unissent par le moyen du feu, s’assimilent et deviennent un corps dur très dense, et d’autant plus transparent que le sable est plus homogène ; exposés, au contraire, longtemps à l’air, se décomposant par la désunion et l’exfoliation des petites lames dont ils sont formés, ils commencent à devenir terre, et c’est ainsi qu’ils ont pu former les glaises et les argiles. Cette poussière, tantôt