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dit l’historien de l’Académie, que toutes les pierres ont été une pâte molle, et, comme il y a des carrières presque partout, la surface de la terre a donc été dans tous ces lieux, du moins jusqu’à une certaine profondeur, une vase et une bourbe ; les coquillages, qui se trouvent dans presque toutes les carrières, prouvent que cette vase était une terre détrempée par l’eau de la mer, et par conséquent la mer a couvert tous ces lieux-là, et elle n’a pu les couvrir sans couvrir aussi tout ce qui était de niveau ou plus bas, et elle n’a pu couvrir tous les lieux où il y a des carrières et tous ceux qui sont de niveau ou plus bas, sans couvrir toute la surface du globe terrestre. Ici l’on ne considère point encore les montagnes que la mer aurait dû couvrir aussi, puisqu’il s’y trouve toujours des carrières et souvent des coquillages : si on les supposait formées, le raisonnement que nous faisons en deviendrait beaucoup plus fort. »

« La mer, continue-t-il, couvrait donc toute la terre, et de là vient que tous les bancs ou lits de pierre qui sont dans les plaines sont horizontaux et parallèles entre eux ; les poissons auront été les plus anciens habitants du globe, qui ne pouvait encore avoir ni animaux terrestres ni oiseaux. Mais comment la mer s’est-elle retirée dans les grands creux, dans les vastes bassins qu’elle occupe présentement ? Ce qui se présente le plus naturellement à l’esprit, c’est que le globe de la terre, du moins jusqu’à une certaine profondeur, n’était pas solide partout, mais entremêlé de quelques grands creux dont les voûtes se sont soutenues pendant un temps, mais enfin sont venues à fondre subitement ; alors les eaux seront tombées dans ces creux, les auront remplis, et auront laissé à découvert une partie de la surface de la terre qui sera devenue une habitation convenable aux animaux terrestres et aux oiseaux. Les coquillages des carrières s’accordent fort avec cette idée ; car, outre qu’il n’a pu se conserver jusqu’à présent dans les terres que des parties pierreuses des poissons, on sait qu’ordinairement les coquillages s’amassent en grand nombre dans certains endroits de la mer, où ils sont comme immobiles et forment des espèces de rochers, et ils n’auront pu suivre les eaux qui les auront subitement abandonnés ; c’est par cette dernière raison que l’on trouve infiniment plus de coquillages que d’arêtes ou d’empreintes d’autres poissons, et cela même prouve une chute soudaine de la mer dans ses bassins. Dans le même temps que les voûtes que nous supposons ont fondu, il est fort possible que d’autres parties de la surface du globe se soient élevées, et par la même cause : ce seront là les montagnes qui se seront placées sur cette surface avec des carrières déjà toutes formées ; mais les lits de ces carrières n’ont pas pu conserver la direction horizontale qu’ils avaient auparavant, à moins que les masses des montagnes ne se fussent élevées précisément selon un axe perpendiculaire à la surface de la terre, ce qui n’a pu être que très rare : aussi, comme nous l’avons déjà observé en 1708 (pag. 30 et suiv.), les lits des carrières des montagnes sont toujours inclinés à l’horizon, mais parallèles entre eux, car ils n’ont pas changé de position les uns à l’égard des autres, mais seulement à l’égard de la surface de la terre. » (Voyez les Mémoires de l’Académie, année 1716, p. 14 et suiv. de l’Histoire.)

Ces couches parallèles, ces lits de terre ou de pierre, qui ont été formés par les sédiments des eaux de la mer, s’étendent souvent à des distances très considérables, et même on trouve dans les collines séparées par un vallon les mêmes lits, les mêmes matières, au même niveau. Cette observation, que j’ai faite, s’accorde parfaitement avec celle de l’égalité de la hauteur des collines opposées dont je parlerai tout à l’heure ; on pourra s’assurer aisément de la vérité de ces faits, car, dans tous les vallons étroits, où l’on découvre des rochers, on verra que les mêmes lits de pierre ou de marbre se trouvent des deux côtés à la même hauteur. Dans une campagne que j’habite souvent et où j’ai beaucoup examiné les rochers et les carrières, j’ai trouvé une carrière de marbre qui s’étend à plus de 12 lieues en longueur et dont la largeur est fort considérable, quoique