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quelquefois, soit par les alternatives du mouvement des marais, soit par l’élévation extraordinaire des eaux dans les gros temps, et elle aura mêlé avec cette couche de marne, de la vase, de la boue et d’autres matières limoneuses ; lorsque le terrain se sera enfin trouvé tout à fait élevé au-dessus des eaux, les plantes auront commencé à y croître, et c’est alors que le limon des pluies et des rosées aura peu à peu coloré et pénétré cette terre, et lui aura donné un premier degré de fertilité que les hommes auront bientôt augmentée par la culture, en travaillant et divisant la surface, et donnant ainsi au limon des rosées et des pluies la facilité de pénétrer plus avant, ce qui à la fin aura produit cette couche de terre franche de 13 pieds d’épaisseur.

Je n’examinerai point ici si la couleur rougeâtre des terres végétales, qui est aussi celle du limon de la rosée et des pluies, ne vient pas du fer qui y est contenu ; ce point, qui ne laisse pas que d’être important, sera discuté dans notre discours sur les minéraux : il nous suffit d’avoir exposé notre façon de concevoir la formation de la couche superficielle de la terre, et nous allons prouver par d’autres exemples que la formation des couches intérieures ne peut être que l’ouvrage des eaux.

La surface du globe, dit Woodward, cette couche extérieure sur laquelle les hommes et les animaux marchent, qui sert de magasin pour la formation des végétaux et des animaux, est, pour la plus grande partie, composée de matière végétale ou animale qui est dans un mouvement et dans un changement continuel. Tous les animaux et les végétaux qui ont existé depuis la création du monde ont toujours tiré successivement de cette couche la matière qui a composé leur corps, et ils lui ont rendu à leur mort cette matière empruntée ; elle y reste, toujours prête à être reprise de nouveau et à servir pour former d’autres corps de la même espèce successivement sans jamais discontinuer ; car la matière qui compose un corps est propre et naturellement disposée pour en former un autre de cette espèce. (Voy. Essai sur l’Histoire naturelle de la terre, page 136.) Dans les pays inhabités, dans les lieux où on ne coupe pas les bois, où les animaux ne broutent pas les plantes, cette couche de terre végétale s’augmente assez considérablement avec le temps ; dans tous les bois, et même dans ceux qu’on coupe, il y a une couche de terreau de 6 ou 8 pouces d’épaisseur, qui n’a été formée que par les feuilles, les petites branches et les écorces qui se sont pourries ; j’ai souvent observé sur un ancien grand chemin fait, dit-on, du temps des Romains, qui traverse la Bourgogne dans une longue étendue de terrain, qu’il s’est formé, sur les pierres dont ce grand chemin est construit, une couche de terre noire de plus d’un pied d’épaisseur, qui nourrit actuellement des arbres d’une hauteur considérable, et cette couche n’est composée que d’un terreau noir formé par les feuilles, les écorces et les bois pourris. Comme les végétaux tirent pour leur nourriture beaucoup plus de substance de l’air et de l’eau qu’ils n’en tirent de la terre, il arrive qu’en pourrissant ils rendent à la terre plus qu’ils n’en ont tiré ; d’ailleurs, une forêt détermine les eaux de la pluie en arrêtant les vapeurs ; ainsi, dans un bois qu’on conserverait bien longtemps sans y toucher, la couche de terre qui sert à la végétation augmenterait considérablement ; mais les animaux rendant moins à la terre qu’ils n’en tirent, et les hommes faisant des consommations énormes de bois et de plantes pour le feu et pour d’autres usages, il s’ensuit que la couche de terre végétale d’un pays habité doit toujours diminuer et devenir enfin comme le terrain de l’Arabie Pétrée, et comme celui de tant d’autres provinces de l’Orient, qui est en effet le climat le plus anciennement habité, où l’on ne trouve que du sel et des sables ; car le sel fixe des plantes et des animaux reste, tandis que toutes les autres parties se volatilisent.

Après avoir parlé de cette couche de terre extérieure que nous cultivons, il faut examiner la position et la formation des couches intérieures. La terre, dit Woodward, paraît, en quelque endroit qu’on la creuse, composée de couches placées l’une sur l’autre comme autant de sédiments qui seraient tombés successivement au fond de l’eau ; les