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mois-là, c’est une marque que le reste de l’année sera froid et pluvieux. En 1725, il n’y eut, pour ainsi dire, point d’été, et il plut presque continuellement ; aussi non-seulement les glaces des mers septentrionales n’étaient pas fondues au mois d’avril au 67e degré, mais même on en trouva au 15 juin vers le 41e ou 42e degré. (Voyez l’Hist. de l’Acad., année 1725.)

On trouve une grande quantité de ces glaces flottantes dans la mer du Nord, surtout à quelque distance des terres ; elles viennent de la mer de Tartarie dans celle de la Nouvelle-Zélande et dans les autres endroits de la mer Glaciale. J’ai été assuré, par des gens dignes de foi, qu’un capitaine anglais, nommé Monson, au lieu de chercher un passage entre les terres du nord pour aller à la Chine, avait dirigé sa route droit au pôle et en avait approché jusqu’à deux degrés ; que, dans cette route, il avait trouvé une haute mer sans aucune glace, ce qui prouve que les glaces se forment auprès des terres et jamais en pleine mer ; car quand même on voudrait supposer, contre toute apparence, qu’il pourrait faire assez froid au pôle pour que la superficie de la mer fût glacée, on ne concevrait pas mieux comment ces énormes glaces qui flottent pourraient se former, si elles ne trouvaient pas un point d’appui contre les terres, d’où ensuite elles se détachent par la chaleur du soleil. Les deux vaisseaux que la Compagnie des Indes envoya en 1739 à la découverte des terres australes trouvèrent des glaces à une latitude de 47 ou 48 degrés ; mais ces glaces n’étaient pas fort éloignées des terres, puisqu’ils les reconnurent, sans cependant pouvoir y aborder. (Voyez, sur cela, la Carte de M. Buache, 1739.) Ces glaces doivent venir des terres intérieures et voisines du pôle austral, et on peut conjecturer qu’elles suivent le cours de plusieurs grands fleuves dont ces terres inconnues sont arrosées, de même que le fleuve Oby, le Jenisca et les autres grandes rivières qui tombent dans les mers du Nord, entraînent les glaces qui bouchent pendant la plus grande partie de l’année le détroit de Waigats, et rendent inabordable la mer de Tartarie par cette route, tandis qu’au delà de la Nouvelle-Zemble et plus près des pôles où il y a peu de fleuves et de terres, les glaces sont moins communes et la mer est plus navigable ; en sorte que, si on voulait encore tenter le voyage de la Chine et du Japon par les mers du Nord, il faudrait peut-être, pour s’éloigner le plus des terres et des glaces, diriger sa route droit au pôle, et chercher les plus hautes mers, où certainement il n’y a que peu ou point de glaces ; car on sait que l’eau salée peut sans se geler devenir beaucoup plus froide que l’eau douce glacée, et par conséquent le froid excessif du pôle peut bien rendre l’eau de la mer plus froide que la glace, sans que pour cela la surface de la mer se gèle, d’autant plus qu’à 80 ou 82 degrés, la surface de la mer, quoique mêlée de beaucoup de neige et d’eau douce, n’est glacée qu’auprès des côtes. En recueillant les témoignages des voyageurs sur le passage de l’Europe à la Chine par la mer du Nord, il paraît qu’il existe, et que, s’il a été si souvent tenté inutilement, c’est parce qu’on a toujours craint de s’éloigner des terres et de s’approcher du pôle ; les voyageurs l’ont peut-être regardé comme un écueil.

Cependant Guillaume Barents qui avait échoué, comme d’autres, dans son voyage du Nord, ne doutait pas qu’il n’y eût un passage, et que, s’il se fût plus éloigné des terres, il n’eût trouvé une mer libre et sans glaces. Des voyageurs moscovites, envoyés par le czar pour reconnaître les mers du Nord, rapportèrent que la Nouvelle-Zemble n’est point une île, mais une terre ferme du continent de la Tartarie, et qu’au nord de la Nouvelle-Zemble c’est une mer libre et ouverte. Un voyageur hollandais nous assure que la mer jette de temps en temps, sur la côte de Corée et du Japon, des baleines qui ont sur le dos des harpons anglais et hollandais. Un autre Hollandais avait prétendu avoir été jusque sous le pôle, et il assurait qu’il y faisait aussi chaud qu’il fait à Amsterdamen été. Un Anglais nommé Goulden, qui avait fait plus de trente voyages en Groenland, rapporta au roi Charles II que deux vaisseaux hollandais avec lesquels il faisait voile, n’ayant point trouvé de baleines