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Voilà ce que l’inspection attentive du globe peut nous fournir de plus général sur la division de la terre. Nous nous abstiendrons de faire sur cela des hypothèses et de hasarder des raisonnements qui pourraient nous conduire à de fausses conséquences ; mais, comme personne n’avait considéré sous ce point de vue la division du globe, j’ai cru devoir communiquer ces remarques. Il est assez singulier que la ligne qui fait la plus grande longueur des continents terrestres les partage en deux parties égales ; il ne l’est pas moins que ces deux lignes commencent et finissent aux mêmes degrés de latitude, et qu’elles soient toutes deux inclinées de même à l’équateur. Ces rapports peuvent tenir à quelque chose de général que l’on découvrira peut-être, et que nous ignorons. Nous verrons, dans la suite, à examiner plus en détail les inégalités de la figure des continents ; il nous suffit d’observer ici que les pays les plus anciens doivent être les plus voisins de ces lignes, et en même temps les plus élevés, et que les terres plus nouvelles en doivent être les plus éloignées, et en même temps les plus basses. Ainsi, en Amérique, la terre des Amazones, la Guyane et le Canada seront les parties les plus nouvelles : en jetant les yeux sur la carte de ces pays, on voit que les eaux y sont répandues de tous côtés ; qu’il y a un grand nombre de lacs et de très grands fleuves, ce qui indique encore que ces terres sont nouvelles ; au contraire, le Tucuman, le Pérou et le Mexique sont des pays très élevés, fort montueux, et voisins de la ligne qui partage le continent, ce qui semble prouver qu’ils sont plus anciens que ceux dont nous venons de parler. De même, toute l’Afrique est très montueuse, et cette partie du monde est fort ancienne ; il n’y a guère que l’Égypte, la Barbarie et les côtes occidentales de l’Afrique jusqu’au Sénégal, qu’on puisse regarder comme de nouvelles terres. L’Asie est aussi une terre ancienne, et peut-être la plus ancienne de toutes, surtout l’Arabie, la Perse et la Tartarie ; mais les inégalités de cette vaste partie du monde demandent, aussi bien que celles de l’Europe, un détail que nous renvoyons à un autre article. On pourrait dire, en général, que l’Europe est un pays nouveau : la tradition sur la migration des peuples et sur l’origine des arts et des sciences paraît l’indiquer ; il n’y a pas longtemps qu’elle était encore remplie de marais et couverte de forêts, au lieu que, dans les pays très anciennement habités, il y a peu de bois, peu d’eau, point de marais, beaucoup de landes et de bruyères ; une grande quantité de montagnes dont les sommets sont secs et stériles, car les hommes détruisent les bois, contraignent les eaux, resserrent les fleuves, dessèchent les marais, et avec le temps ils donnent à la terre une face toute différente de celle des pays inhabités ou nouvellement peuplés.

Les anciens ne connaissaient qu’une très petite partie du globe ; l’Amérique entière, les terres arctiques, la terre australe et Magellanique, une grande partie de l’intérieur de l’Afrique leur étaient entièrement inconnues ; ils ne savaient pas que la zone torride était habitée, quoiqu’ils eussent navigué tout autour de l’Afrique, car il y a 2 200 ans que Néco, roi d’Égypte, donna des vaisseaux à des Phéniciens qui partirent de la mer Rouge, côtoyèrent l’Afrique, doublèrent le cap de Bonne-Espérance, et, ayant employé deux ans à faire ce voyage, ils entrèrent la troisième année dans le détroit de Gibraltar. (Voyez Hérodote, lib. iv.) Cependant les anciens ne connaissaient pas la propriété qu’a l’aimant de se diriger vers les pôles du monde, quoiqu’ils connussent celle qu’il a d’attirer le fer ; ils ignoraient la cause générale du flux et du reflux de la mer ; ils n’étaient pas sûrs que l’océan environnât le globe sans interruption : quelques-uns, à la vérité, l’ont soupçonné, mais avec si peu de fondement qu’aucun n’a osé dire ni même conjecturer qu’il était possible de faire le tour du monde. Magellan a été le premier qui l’ait fait, en l’année 1519, dans l’espace de 1 124 jours. François Drake a été le second, en 1577, et il l’a fait en 1 056 jours. Ensuite Thomas Cavendish a fait ce grand voyage en 777 jours, dans l’année 1586 ; ces fameux voyageurs ont été les premiers qui aient démontré physiquement la sphéricité et l’étendue de la circonférence terrestre ; car les anciens étaient