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aient été faits sur la théorie de la terre. Il a paru, en 1729, un mémoire de M. Bourguet, imprimé à Amsterdam avec ses Lettres philosophiques sur la formation des sels, etc., dans lequel il donne un échantillon du système qu’il méditait, mais qu’il n’a pas proposé, ayant été prévenu par la mort. Il faut rendre justice à cet auteur : personne n’a mieux rassemblé les phénomènes et les faits ; on lui doit même cette belle et grande observation qui est une des clefs de la théorie de la terre, je veux parler de la correspondance des angles des montagnes. Il présente tout ce qui a rapport à ces matières dans un grand ordre ; mais, avec tous ces avantages, il paraît qu’il n’aurait pas mieux réussi que les autres à faire une histoire physique et raisonnée des changements arrivés au globe, et qu’il était bien éloigné d’avoir trouvé les vraies causes des effets qu’il rapporte ; pour s’en convaincre, il ne faut que jeter les yeux sur les propositions qu’il déduit des phénomènes, et qui doivent servir de fondement à sa théorie (Voyez p. 211). Il dit que le globe a pris sa forme dans un même temps, et non pas successivement ; que la forme et la disposition du globe supposent nécessairement qu’il a été dans un état de fluidité ; que l’état présent de la terre est très différent de celui dans lequel elle a été pendant plusieurs siècles après sa première formation ; que la matière du globe était dès le commencement moins dense qu’elle ne l’a été depuis qu’il a changé de face ; que la condensation des parties solides du globe diminua sensiblement avec la vélocité du globe même, de sorte qu’après avoir fait un certain nombre de révolutions sur son axe et autour du soleil, il se trouva tout à coup dans un état de dissolution qui détruisit sa première structure ; que cela arriva vers l’équinoxe du printemps ; que, dans le temps de cette dissolution, les coquilles s’introduisirent dans les matières dissoutes ; qu’après cette dissolution la terre a pris la forme que nous lui voyons, et qu’aussitôt le feu s’y est mis ; qu’il la consume peu à peu et va toujours en augmentant, de sorte qu’elle sera détruite un jour par une explosion terrible, accompagnée d’un incendie général, qui augmentera l’atmosphère du globe et en diminuera le diamètre, et qu’alors la terre, au lieu de couches de sable ou de terre, n’aura que des couches de métal et de minéral calciné, et des montagnes composées d’amalgames de différents métaux. En voilà assez pour faire voir quel était le système que l’auteur méditait. Deviner de cette façon le passé, vouloir prédire l’avenir, et encore deviner et prédire à peu près comme les autres ont prédit et deviné, ne me paraît pas être un effort ; aussi cet auteur avait beaucoup plus de connaissances et d’érudition que de vues saines et générales, et il m’a paru manquer de cette partie si nécessaire aux physiciens, de cette métaphysique qui rassemble les idées particulières, qui les rend plus générales, et qui élève l’esprit au point où il doit être pour voir l’enchaînement des causes et des effets.

Le fameux Leibniz donna, en 1683, dans les Actes de Leipzig (p. 40), un projet de système bien différent, sous le titre de Protogæa. La terre, selon Bourguet et tous les autres, doit finir par le feu ; selon Leibniz, elle a commencé par là, et a souffert beaucoup plus de changements et de révolutions qu’on ne l’imagine. La plus grande partie de la matière terrestre a été embrasée par un feu violent dans le temps que Moïse dit que la lumière fut séparée par des ténèbres. Les planètes, aussi bien que la terre, étaient autrefois des étoiles fixes et lumineuses par elles-mêmes. Après avoir brûlé longtemps, il prétend qu’elles se sont éteintes faute de matière combustible, et qu’elles sont devenues des corps opaques. Le feu a produit par la fonte des matières une croûte vitrifiée, et la base de toute la matière qui compose le globe terrestre est du verre, dont les sables ne sont que des fragments ; les autres espèces de terre se sont formées du mélange de ce sable avec des sels fixes et de l’eau, et, quand la croûte fut refroidie, les parties humides, qui s’étaient élevées en forme de vapeurs, retombèrent et formèrent les mers. Elles enveloppèrent d’abord toute la surface du globe, et surmontèrent même les endroits les plus élevés qui forment aujourd’hui les continents et les îles. Selon cet auteur, les coquilles et