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colonne que forme cette vapeur est souvent d’une longueur immense, et plus une comète approche du soleil, plus la queue est longue et étendue, de sorte qu’elle occupe souvent des espaces très grands, et, comme plusieurs comètes descendent au-dessous de l’orbe annuel de la terre, il n’est pas surprenant que la terre se trouve quelquefois enveloppée de la vapeur de cette queue : c’est précisément ce qui est arrivé dans le temps du déluge ; il n’a fallu que deux heures de séjour dans cette queue de comète pour faire tomber autant d’eau qu’il y en a dans la mer ; enfin cette queue était les cataractes du ciel, et cataractæ cœli aperti sunt. En effet, le globe terrestre ayant une fois rencontré la queue de la comète, il doit, en y faisant sa route, s’approprier une partie de la matière qu’elle contient — tout ce qui se trouvera dans la sphère de l’attraction du globe doit tomber sur la terre, et tomber en forme de pluie, puisque cette queue est en partie composée de vapeurs aqueuses. Voilà donc une pluie du ciel qu’on peut faire aussi abondante qu’on voudra, et un déluge universel dont les eaux surpasseront aisément les plus hautes montagnes. Cependant notre auteur qui, dans cet endroit ne veut pas s’éloigner de la lettre du livre sacré, ne donne pas pour cause unique du déluge cette pluie tirée de si loin ; il prend de l’eau partout où il y en a. Le grand abîme, comme nous avons vu, en contient une bonne quantité ; la terre, à l’approche de la comète, aura sans doute éprouvé la force de son attraction, les liquides contenus dans le grand abîme auront été agités par un mouvement de flux et de reflux si violent que la croûte superficielle n’aura pu résister ; elle se sera fendue en divers endroits, et les eaux de l’intérieur se seront répandues sur sa surface, et rupti sunt fontes abyssi.

Mais que faire de ces eaux que la queue de la comète et le grand abîme ont fournies si libéralement ? Notre auteur n’en est point embarrassé. Dès que la terre, en continuant sa route, se fut éloignée de la comète, l’effet de son attraction, le mouvement de flux et de reflux cessa dans le grand abîme, et dès lors les eaux supérieures s’y précipitèrent avec violence par les mêmes voies qu’elles en étaient sorties ; le grand abîme absorba toutes les eaux superflues, et se trouva d’une capacité assez grande pour recevoir non seulement les eaux qu’il avait déjà contenues, mais encore toutes celles que la queue de la comète avait laissées, parce que, dans le temps de son agitation et de la rupture de la croûte, il avait agrandi l’espace en poussant de tous côtés la terre qui l’environnait ; ce fut aussi dans ce temps que la figure de la terre, qui jusque-là avait été sphérique, devint elliptique, tant par l’effet de la force centrifuge causée par son mouvement diurne que par l’action de la comète, et cela parce que la terre, en parcourant la queue de la comète, se trouva posée de façon qu’elle présentait les parties de l’équateur à cet astre, et que la force de l’attraction de la comète, concourant avec la force centrifuge de la terre, fit élever les parties de l’équateur avec d’autant plus de facilité que la croûte était rompue et divisée en une infinité d’endroits, et que l’action du flux et du reflux de l’abîme poussait plus violemment que partout ailleurs les parties sous l’équateur.

Voilà donc l’histoire de la création, les causes du déluge universel, celles de la longueur de la vie des premiers hommes, et celles de la figure de la terre ; tout cela semble n’avoir rien coûté à notre auteur, mais l’arche de Noé paraît l’inquiéter beaucoup : comment imaginer, en effet, qu’au milieu d’un désordre aussi affreux, au milieu de la confusion de la queue d’une comète avec le grand abîme, au milieu des ruines de l’orbe terrestre, et dans ces terribles moments où non seulement les éléments de la terre étaient confondus, mais où il arrivait encore du ciel et du tartare de nouveaux éléments pour augmenter le chaos, comment imaginer que l’arche voguât tranquillement avec sa nombreuse cargaison sur la cime des flots ? Ici, notre auteur rame et fait de grands efforts pour arriver et pour donner une raison physique de la conservation de l’arche ; mais, comme il m’a paru qu’elle était insuffisante, mal imaginée et peu orthodoxe, je ne la rapporterai point ; il me suffira de faire sentir combien il est dur, pour un homme qui a expliqué de