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indispensable, mais il n’avait pas l’esprit analytique. Aussi ne tarda-t-il pas à abandonner à des collaborateurs « l’histoire naturelle particulière », tandis qu’armé de leurs recherches il méditait sur les « rapports fixes et invariables » des choses et « s’élevait à ces vues plus générales par lesquelles nous pouvons embrasser à la fois plusieurs objets différents, réfléchir avec fruit et nous frayer des routes pour arriver à des connaissances utiles. »

Le premier, il indique la nécessité de joindre à la description des caractères extérieurs des animaux celle de leur organisation interne, et fonde l’anatomie comparée, mais il abandonne à Daubenton le soin de mettre en pratique cette conception nouvelle. Il aime à peindre, dans un style aussi riche en couleurs que fidèle par le trait, les formes, les caractères et les mœurs des oiseaux et des mammifères dont il fait l’objet de ses études ; ses descriptions sont si exactes et si belles qu’il serait impossible de les mieux faire ; il jouit de l’immense succès qu’elles obtiennent ; il est sensible à la popularité qu’elles lui procurent ; mais il se lasse vite de la précision analytique qu’elles lui imposent. À propos des oiseaux, il écrit au président de Brosses[1], quelque temps après la mort de sa femme : « Personne n’a été plus malheureux deux ans de suite : l’étude seule a été ma ressource, et, comme mon cœur et ma tête étaient trop malades pour pouvoir m’appliquer à des choses difficiles, je me suis amusé à caresser des oiseaux. » Dès que son esprit est plus calme et plus apte à s’occuper « de choses difficiles », il cesse de caresser des oiseaux ; « j’ai assez de travailler sur des plumes, » écrit-il, et il s’estime heureux d’abandonner cette partie de son œuvre à Guéneau de Montbelliard et à l’abbé Bexon, pour se livrer à l’étude des minéraux. Quoique ces objets soient plus difficiles, il leur donne la préférence parce que leur étude est « plus analogue à son goût par les belles découvertes et les grandes vues dont elle est susceptible ».

L’expérimentation elle-même, après l’avoir séduit par les nouveautés qu’elle l’avaient mis en mesure de découvrir, le fatigue par les soins minutieux qu’elle exige. La grande réputation que lui valurent ses observations microscopiques sur les éléments de la génération, ses expériences sur les miroirs ardents, sur la production des métis, sur les fers, les fontes et les aciers, fut elle-même impuissante, malgré son amour très légitime de la célébrité, à le retenir devant le microscope ou le foyer de la forge. Esprit éminemment synthétique, il aime le travail, mais non le travail d’analyse, ce labor improbus de l’observateur et de l’expérimentateur qui, après une vie consumée en des efforts incessants et opiniâtres, ne laissent à la postérité que quelques faits souvent contestés, toujours perdus dans les larges flots de la science qu’ils ont le rôle modeste de grossir.

Ce qu’il faut chercher dans l’œuvre scientifique de Buffon, ce n’est pas le

  1. Le 29 septembre 1769. Voyez la Correspondance.