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un autre obstacle à l’avancement de nos connaissances, qui paraît invincible, et qu’en effet le travail seul ne peut surmonter ; ce n’est qu’à force de temps, de soins, de dépenses, et souvent par des hasards heureux, qu’on peut se procurer des individus bien conservés de chaque espèce d’animaux, de plantes ou de minéraux, et former une collection bien rangée de tous les ouvrages de la nature.

« Mais lorsqu’on est parvenu à rassembler des échantillons de tout ce qui peuple l’univers, lorsque après bien des peines on a mis dans un même lieu des modèles de tout ce qui se trouve répandu avec profusion sur la terre, et qu’on jette pour la première fois les yeux sur ce magasin rempli de choses diverses, nouvelles et étrangères, la première sensation qui en résulte est un étonnement mêlé d’admiration, et la première réflexion qui suit est un retour humiliant sur nous-mêmes. On ne s’imagine pas qu’on puisse avec le temps parvenir au point de reconnaître tous ces différents objets, qu’on puisse parvenir non seulement à les reconnaître par la forme, mais encore à savoir tout ce qui a rapport à la naissance, la production, l’organisation, les usages, en un mot à l’histoire de chaque chose en particulier : cependant, en se familiarisant avec ces mêmes objets, en les voyant souvent, et, pour ainsi dire, sans dessein, ils forment peu à peu des impressions durables, qui bientôt se lient dans notre esprit par des rapports fixes et invariables ; et de là nous nous élevons à des vues plus générales, par lesquelles nous pouvons embrasser à la fois plusieurs objets différents ; et c’est alors qu’on est en état d’étudier avec ordre, de réfléchir avec fruit, et de se frayer des routes, pour arriver à des découvertes utiles. »

Quelles que fussent l’étendue et les difficultés du travail auquel Buffon allait se livrer, il était mieux placé que personne pour en mener à bonne fin, sinon la totalité, du moins une grande partie. À l’époque où Louis XV lui confia la surintendance du Jardin du Roi, les collections de minéraux, de végétaux et d’animaux réunies dans cet établissement n’étaient encore, il est vrai, que peu importantes, si on les compare à celles que renferme aujourd’hui le Muséum ; elles n’en avaient pas moins une grande valeur et elles devaient en acquérir rapidement une plus considérable encore, entre les mains d’un homme que sa grande fortune et ses relations avec tous les personnages officiels de la France et de l’étranger mettaient en mesure de récompenser de façons très diverses les personnes dont il sollicitait le concours. Il ne tarda donc pas à avoir entre les mains le « magasin de choses diverses » sans lequel le travail le plus opiniâtre eût été impuissant.

Buffon comprenait la nécessité de commencer l’étude de la nature par l’histoire particulière de chacun des êtres et des objets innombrables qu’elle offre à notre examen ; mais il n’était pas homme à s’attarder longtemps dans les études minutieuses, longues et patientes qu’exige l’observation directe des détails. Il n’ignorait pas que dans toute science l’analyse est