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rompre, on faisait des éditions nouvelles et des traductions des parties déjà parues, et la gloire de l’auteur grandissait à ce point qu’on couronnait son buste sur les théâtres et que, en 1777, le roi Louis XV, après avoir érigé la terre de Buffon en comté, sans sollicitations de la part de l’illustre naturaliste, faisait élever à ce dernier, encore vivant, une statue dans le jardin qu’il avait fondé.

Buffon mourut au Jardin du Roi à l’âge de quatre-vingt-un ans, dans la nuit du 15 au 16 avril 1788, au comble de la gloire, sans avoir connu aucune des vicissitudes du sort, ayant été entouré pendant toute sa vie d’amis nombreux et fidèles, d’amies enthousiastes de son talent et amoureuses de sa personne, traité presque en cousin par les rois, les impératrices et les princes, et jouissant d’une popularité telle que plus de vingt mille personnes se pressaient derrière son cortège funèbre et qu’on était monté sur les toits pour le voir passer.

Mort à la veille de la Révolution, il ne l’avait pour ainsi dire pas vue, tant il était absorbé par son œuvre. Fidèle aux traditions de sa race, de sa famille et de sa religion, détesté des encyclopédistes et les haïssant sans s’être jamais douté qu’il était l’un des plus puissants collaborateurs de leur œuvre gigantesque, il n’ignorait pas cependant la force de la science ; il avait coutume de dire que « la meilleure manière de détruire les erreurs en métaphysique et en morale c’est de multiplier les vérités d’observation dans les sciences naturelles ; il pensait qu’au lieu de combattre avec une arme toujours dangereuse — l’arme du ridicule — l’ignorance et la superstition, il est préférable de répandre le goût de l’étude[1]. »

Il pensait que le développement et la diffusion de la science suffiraient à faire disparaître les abus et les misères ; mais il comptait sans la violence des premiers et la grandeur des secondes. Il lui fut épargné d’assister à l’écroulement de ses illusions et à la ruine d’un passé qu’il avait ébranlé, en vulgarisant la science, tandis qu’il croyait le consolider en donnant l’exemple de la fidélité aux principes religieux et sociaux sur lesquels reposait ce passé.

  1. Humbert Bazile, loc. cit., p. 62.