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ouvrages bien écrits sont les seuls qui passeront à la postérité » ; je me bornerai à faire remarquer que, s’il est vrai que Buffon soit passé à la postérité à cause du style de ses œuvres, il n’est pas moins exact que son style a nui à sa réputation scientifique. On a recueilli les pages les mieux écrites de son Histoire naturelle, tandis qu’on laissait de côté les nombreuses grandes pensées qu’elle contient.

Cependant, la renommée de Buffon ne fit désormais que grandir, pour le plus grand profit de la science. Les voyageurs se disputaient l’honneur d’enrichir ses collections, les souverains étrangers lui adressaient des objets précieux de toutes sortes ; pendant la guerre d’Amérique, des corsaires qui pillaient sans respect des caisses à l’adresse du roi d’Espagne, envoyaient religieusement à Buffon celles qui lui était destinées ; les ministres s’inclinaient devant ses moindres désirs ; les grands seigneurs ajoutaient des cabinets d’histoire naturelle à leurs galeries de tableaux ; et comme les petits aiment à imiter les grands, le goût de l’histoire naturelle se répandit dans toutes les classes de la société. Parisiens et étrangers se pressaient dans les galeries du Jardin du Roi, rapidement accrues par les soins du directeur. Tout homme riche se faisait un titre de collectionner des animaux, des plantes, des marbres et des pierres. Le roi traitait en ami le grand naturaliste ; il lui envoyait les pièces rares tirées dans les chasses royales et ne dédaignait pas le chevreuil alors très renommé de Montbard, que lui offrait Buffon[1]. Le roi de Prusse recevait le jeune fils du naturaliste avec des honneurs quasi-princiers et l’impératrice de Russie le comblait de mille amitiés[2]. Voltaire,

  1. M. Nadault de Buffon raconte à ce propos les curieuses anecdotes suivantes : Un jour, à Versailles, Louis XV fut pris de la fantaisie de manger du chevreuil de Montbard ; il en envoya demander à Buffon. Ce dernier ne put offrir que la moitié d’un chevreuil et supplia le Roi de ne voir dans l’envoi de cette pièce, si peu digne d’être offerte à Sa Majesté, que l’empressement que l’on avait au Jardin du Roi de répondre sans retard à son désir. Le Roi, à son tour, envoya au naturaliste la moitié d’un pâté qui avait été servi sur sa table le matin, auquel il avait lui-même travaillé avec le duc d’Aumont et qu’il avait trouvé excellent. « De cette manière, dit-il, M. de Buffon ne regardera plus à m’envoyer une moitié de chevreuil. » Un autre jour, au mois de décembre 1775, ayant tué à la chasse des bécasses d’une espèce rare (des bécasses rousses), il ordonna qu’elles fussent envoyées au Jardin du Roi en ajoutant : « M. de Buffon seul est digne de manger ces oiseaux. »
  2. Buffon envoya d’abord son fils encore très jeune en Suisse, puis en Allemagne et en Autriche, où il le fit accompagner par Lamarck, et enfin en Russie. À Vienne, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, le jeune Buffon fut reçu avec une grande bienveillance. En Russie, des honneurs princiers lui furent rendus. Il apportait à Catherine II un buste de son père que l’impératrice avait commandé à Houdon, buste, paraît-il, extrêmement remarquable. Le jeune Buffon était accompagné dans ce voyage par le chevalier de Contréglise : « Lorsque, dit Humbert Bazile (loc. cit., p. 195), les voyageurs approchèrent de Saint-Pétersbourg ils trouvèrent, à quarante lieues de la capitale, une compagnie de gardes du corps venue au-devant d’eux pour les accompagner dans la route qu’il leur restait à faire. Le chef de l’escorte avait reçu ordre de veiller à ce que rien ne leur manquât et de payer les dépenses du voyage. À une lieue de la ville, dès qu’ils furent aperçus des remparts, une double salve d’artillerie annonça leur arrivée ; l’état-major de la place vint à leur rencontre et le gouverneur les invita à monter dans les voitures de la Cour, qui les attendaient depuis plusieurs