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La sélection ne fait qu’ajouter son action à celle des conditions extérieures. Ainsi, quel que soit le cas que nous envisagions, celui de « variations isolées » ou celui de variations généralisées, ce n’est jamais la sélection qui agit, ni pour produire, ni pour perpétuer la variation ; elle ne fait qu’ajouter son action à celle des conditions extérieures.

Il me serait facile de montrer que les mêmes conclusions s’appliquent à tous les cas dans lesquels Darwin attribue la formation de variétés ou d’espèces sauvages à la sélection naturelle, mais je serais entraîné beaucoup au delà des limites dans lesquelles je dois me renfermer.

Darwin conclut à tort des espèces domestiques aux espèces sauvages. Le grand tort de Darwin a été de vouloir appliquer à la formation des espèces sauvages toutes les causes qui agissent dans celle des espèces domestiques.

C’est une erreur que Buffon avait su éviter. L’illustre naturaliste du xviiie siècle avait constaté par l’expérience qu’à l’état domestique l’hybridité des races, des variétés, des espèces, peut servir à la production d’espèces nouvelles et cependant il a soin de faire remarquer que l’hybridité n’agit pas dans le même sens, ou n’agit que très peu, parmi les espèces sauvages, parce que l’hybridation y est très rare. Il avait aussi très nettement observé et compris la sélection artificielle ; il avait décrit, avec plus de clarté que cela n’a jamais été fait la formation de races et d’espèces par la sélection et la ségrégation artificielles, mais il n’appliquait pas ces causes aux espèces sauvages parce qu’il savait bien qu’à l’état sauvage la ségrégation, sans laquelle la sélection n’existe pas, est presque complètement inadmissible. Mais il avait bien vu les conséquences vraies de la lutte pour l’existence, c’est-à-dire la disparition des individus ou des espèces les plus faibles et les moins armés, disparition qui favorise la perpétuation des forts et des mieux armés, mais qui ne peut pas être considérée comme la cause de leur production. Il avait vu qu’à l’état sauvage la sélection détruit, mais qu’elle ne crée pas. C’est à cette conclusion que doit conduire toute analyse indépendante de l’œuvre de Darwin.

Le milieu est la véritable cause de formation des espèces sauvages. En résumé, la véritable cause des transformations des espèces et par conséquent de la formation des espèces nouvelles dans l’état sauvage réside dans l’action du milieu : climat, nourriture, vents, électricité, etc., en un mot, de toutes les conditions dans lesquelles vivent les animaux et les plantes. Ce sont ces conditions qui déterminent les variations, en modifiant les besoins, créant des habitudes nouvelles, provoquant l’usage ou le non-usage de tels et tels organes, etc.

Quant à la sélection, elle ne fait qu’ajouter son action à celui du milieu, en faisant disparaître les organismes qui ne s’adaptent pas à ce dernier.

Ainsi que Buffon l’avait fait remarquer, pour que le milieu agisse, pour qu’il modifie l’organe, il faut que ce dernier soit soumis à une action constante et prolongée des mêmes conditions : un animal qui voyage sur une