Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seule : celles dont l’homme prend soin, à commencer par la sienne, sont plus abondantes qu’elles ne le seraient sans ces soins ; mais comme ces soins ont eux-mêmes des limites, l’augmentation qui en résulte est aussi limitée et fixée depuis longtemps par des bornes immuables ; et quoique dans les pays policés l’espèce de l’homme et celles de tous les animaux utiles soient plus nombreuses que dans les autres climats, elles ne le sont jamais à l’excès, parce que la même puissance qui les fait naître les détruit, dès qu’elles deviennent incommodes. »

Dans l’introduction à l’histoire des animaux carnassiers, il trace un tableau plus remarquable encore de la lutte pour l’existence. Il montre l’homme et les animaux carnassiers détruisant une multitude d’organismes ; les insectes dévorant les plantes, mais ceux qui sont le plus exposés à la destruction se multipliant plus rapidement que les autres, de manière à compenser les pertes.

« Destructeurs nés des êtres qui nous sont subordonnés, dit-il[1], nous épuiserions la nature si elle n’était pas inépuisable, si par une fécondité aussi grande que notre déprédation, elle ne savait pas se réparer elle-même et se renouveler. Mais il est dans l’ordre que la mort serve à la vie, que la reproduction naisse de la destruction : quelque grande, quelque prématurée que soit donc la dépense de l’homme et des animaux carnassiers, le fonds, la quantité totale de substance vivante n’est point diminuée ; et s’ils précipitent les destructions, ils hâtent en même temps les naissances nouvelles.

« Les animaux qui par leur grandeur figurent dans l’univers, ne font que la plus petite partie des substances vivantes ; la terre fourmille de petits animaux. Chaque plante, chaque graine, chaque particule de matière organique contient des milliers d’atomes animés. Les végétaux paraissent être le premier fonds de la nature ; mais ce fonds de subsistance, tout abondant, tout inépuisable qu’il est, suffirait à peine au nombre encore plus abondant d’insectes de toute espèce. Leur pullulation, toute aussi nombreuse et souvent plus prompte que la reproduction des plantes, indique assez combien ils sont surabondants ; car les plantes ne se reproduisent que tous les ans, il faut une saison entière pour en former la graine, au lieu que dans les insectes, et surtout dans les plus petites espèces, comme celle des pucerons, une seule saison suffit à plusieurs générations. Ils multiplieraient donc plus que les plantes, s’ils n’étaient détruits par d’autres animaux dont ils paraissent être la pâture naturelle, comme les herbes et les graines semblent être la nourriture préparée pour eux-mêmes. Aussi parmi les insectes y en a-t-il beaucoup qui ne vivent que d’autres insectes ; il y en a même quelques espèces qui, comme les araignées, dévorent indifféremment les autres espèces et la leur : tous servent de pâture aux oiseaux, et les oiseaux domestiques

  1. Buffon, t. IX, p. 53.