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à propos d’un mémoire de deux jeunes naturalistes sur les mollusques céphalopodes. Les auteurs y soutenaient que ces animaux devaient être considérés comme des vertébrés. Dans un rapport sur leur mémoire, Geoffroy Saint-Hilaire eut soin de faire remarquer qu’il apportait une preuve nouvelle à sa théorie des analogies. « MM. Laurencet et Meyran, disait-il, ont dû apprécier les besoins de la science, puisqu’ils ont essayé de diminuer l’hiatus remarqué entre les céphalopodes et les animaux supérieurs. Ils n’ont sans doute point espéré d’arriver tout d’abord à un résultat complètement satisfaisant ; mais on leur doit du moins la justice de dire qu’ils tentent avec bonheur de frayer la route, et qu’ils l’ont même parcourue dans quelques-uns de ses sentiers. »

De pareils encouragements officiels à suivre une voie qui répugnait tant à Cuvier ne pouvaient manquer de faire éclater l’orage. Cuvier s’abandonna à un véritable emportement et la discussion dura plusieurs séances, entre le représentant de la « théorie des analogies » et celui de la « théorie des différences ». Ce sont les termes dont on se servait alors pour désigner les deux doctrines. La presse s’en mêla, le public afflua dans la salle de l’Académie des sciences où le baron Cuvier fulminait, au nom des causes finales, contre les doctrines nouvelles.

Cuvier étant celui des deux antagonistes dont le crédit était le plus considérable, qui pouvait le mieux distribuer les places et les honneurs, c’est à lui que resta la victoire, du moins en France. La conséquence fut un arrêt de développement des sciences naturelles dans le pays même où le grand Buffon leur avait ouvert un si large horizon.

Il serait injuste de taire que le moment n’était alors certainement pas encore venu où le débat put produire tous ses fruits. Geoffroy Saint-Hilaire ne pouvait ignorer que sa doctrine ne reposait pas encore sur des bases assez solides pour résister aux chocs violents qui la battaient en brèche. Dans toute doctrine naissante il y a d’abord plus d’hypothèse que de certitude ; puis, si la doctrine est exacte, les faits augmentent la part de la certitude à mesure qu’ils diminuent celle de l’hypothèse, jusqu’au jour où leur accumulation remplace définitivement l’hypothèse par un système incontestable. La théorie de l’évolution, si magistralement conçue par Buffon, adoptée successivement par la plupart des naturalistes étrangers et français, n’en était encore, en 1830, qu’à cette phase transitoire où l’hypothèse domine encore la certitude. Geoffroy dis-je, en avait parfaitement conscience lorsque dans la séance, du 29 mars 1830 il prononçait ces paroles : « Je vise plus haut qu’à un succès du moment ; désirant faire entrer dans le domaine de la pensée publique une vérité d’un ordre élevé, toute fondamentale. Je me garderai bien, en conséquence, de presser le moment où cette vérité pourra se faire jour et apparaître dans tout son éclat ; ce qui n’adviendra que quand elle sera incontestablement établie. »

Ce jour-là est venu, on peut l’affirmer ; la « vérité d’un ordre élevé » que