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si vague et si minime qu’il n’est plus nettement perceptible et que la nécessité ne s’en fait plus sentir. Le Dieu de Buffon siège « au sein du repos », sur « le trône immobile de l’empyrée d’où il voit rouler sous ses pieds toutes les sphères célestes, sans choc et sans confusion ; » il ne s’est réservé que ces deux extrêmes du pouvoir : « anéantir et créer », c’est-à-dire les deux seuls phénomènes dont il n’ait jamais été donné à personne de constater la production ; mais il régit « dans une paix profonde» le « nombre infini de cieux et de mondes[1]. »

Nulle part ses idées sur ce sujet ne sont aussi nettement exprimées que dans sa première Vue de la Nature[2] : « La nature est le système des lois établies par le Créateur pour l’existence des choses et pour la succession des êtres. La nature n’est point une chose, car cette chose serait tout ; la nature n’est point un être, car cet être serait Dieu ; mais on peut la considérer comme une puissance vive, immense, qui embrasse tout, qui anime tout, et qui, subordonnée à celle du premier Être, n’a commencé d’agir que par son ordre, et n’agit encore que par son concours ou son consentement. Cette puissance est, de la Puissance divine, la partie qui se manifeste ; c’est en même temps la cause et l’effet, le mode et la substance, le dessein et l’ouvrage : bien différente de l’art humain, dont les productions ne sont que des ouvrages morts, la nature est elle-même un ouvrage perpétuellement vivant, un ouvrier sans cesse actif, qui sait tout employer, qui, travaillant d’après soi-même, toujours sur le même fonds, bien loin de l’épuiser, le rend inépuisable : le temps, l’espace et la matière sont ses moyens, l’univers son objet, le mouvement et la vie son but.

» Les effets de cette puissance sont les phénomènes du monde ; les ressorts qu’elle emploie sont des forces vives que l’espace et le temps ne peuvent que mesurer et limiter sans jamais les détruire ; des forces qui se balancent, qui se confondent, qui s’opposent sans pouvoir s’anéantir : les unes pénètrent et transportent les corps, les autres les échauffent et les animent ; l’attraction et l’impulsion sont les deux principaux instruments de l’action de cette puissance sur les corps bruts ; la chaleur et les molécules organiques vivantes sont les principes actifs qu’elle met en œuvre pour la formation et le développement des êtres organisés.

» Avec de tels moyens, que ne peut la nature ? Elle pourrait tout si elle pouvait anéantir et créer ; mais Dieu s’est réservé ces deux extrêmes de pouvoir : anéantir et créer sont les attributs de la toute-puissance ; altérer, changer, détruire, développer, renouveler, produire, sont les seuls droits qu’il a voulu céder. Ministre de ses ordres irrévocables, dépositaire de ses immuables décrets, la nature ne s’écarte jamais des lois qui lui ont été prescrites ; elle

  1. Vues de la Nature, t. II, p. 201.
  2. Ibid., t. II, p. 195.