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Le débat entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Esprit essentiellement analytique, Cuvier résistait de toutes ses forces à ce mouvement. Au lieu de marcher sur les traces de Buffon et de s’associer à ce grand travail de synthèse qui se faisait autour de lui, il restait fidèle à la méthode de Linné et de Jussieu, il cherchait des différences, des « diversités » là où les autres se préoccupaient de trouver des ressemblances. En 1817, dix ans après la publication des premiers travaux de Geoffroy, il écrit[1] : « Depuis longtemps les naturalistes étaient frappés des grandes différences qui séparent les animaux invertébrés les uns des autres, tandis que les animaux vertébrés se ressemblent à tant d’égards. Il résultait de là une grande difficulté dans la rédaction des propositions de l’anatomie comparée qui se laissaient aisément généraliser pour les animaux vertébrés, mais non pas pour les autres ; mais cette difficulté même a donné son remède. De la manière dont les propositions relatives à chaque organe se groupaient toujours j’ai conclu qu’il existe parmi les animaux, quatre formes principales, dont la première est celle que nous connaissons sous le nom d’animaux vertébrés, et dont les trois autres sont à peu près comparables à celle-là par l’uniformité de leurs plans respectifs. Je les nomme animaux mollusques, animaux articulés et animaux rayonnés ou zoophytes. Je subdivise ensuite chacune de ces formes ou de ces embranchements en quatre classes, d’après des motifs à peu près équivalents à ceux sur lesquels reposent les quatre classes généralement adoptées pour les vertébrés. J’ai tiré de cette disposition une grande facilité à réduire sous des règles générales les diversités de l’organisation. »

En établissant les « quatre formes principales, » en recherchant « les diversités de l’organisation » Cuvier avait la prétention d’introduire « l’ordre » dans le règne animal ; il restait fidèle à la mission que lui avait assignée Mertrud en l’appelant au Muséum, il cherchait à jouer le rôle d’un nouveau Linné, il faisait de l’analyse, il divisait la nature en tranches et il faisait cela avec l’autorité d’un homme qui joint à une grande science et à une assurance plus grande encore, la plus haute situation que pût alors souhaiter un savant. Aussi, se montre-t-il très mécontent de l’attitude de Geoffroy. Flourens, son élève dévoué et son panégyriste enthousiaste, a donné la note exacte de ce mécontentement. « L’ordre, dit-il[2], était mis enfin dans le règne animal. Que venait donc faire M. Geoffroy ? que voulait-il ? Il venait défaire ce qu’avait fait, et avec tant de soin, avec tant de peine, M. Cuvier. Partout où M. Cuvier avait porté l’ordre, il apportait le désordre ; partout où M. Cuvier avait séparé les structures, il les remêlait. M. Cuvier ne le put souffrir ; et de là le fameux débat dont je vais raconter l’histoire. »

Ce débat fut fameux, en effet, mais il fut aussi nuisible aux intérêts de la science française que profitable à la gloire momentanée de Cuvier. Il surgit

  1. Analyse de 1812, p. 31.
  2. De l’unité de composition, p. 14.