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» La terre en effet, particulièrement vers sa surface, les eaux et même l’atmosphère dans certains temps et dans certains climats, sont peuplés en quelque sorte de molécules animées, dont l’organisation, quelque simple qu’elle soit, suffit pour leur existence. Ces animalcules se reproduisent et se multiplient surtout dans les temps et les climats chauds, avec une fécondité effrayante, fécondité qui est bien plus considérable que celle des gros animaux dont l’organisation est plus compliquée. Il semble, pour ainsi dire, que la matière alors s’animalise de toutes parts, tant les résultats de cette étonnante fécondité sont rapides. Aussi, sans l’immense consommation qui se fait dans la nature des animaux qui composent les derniers ordres du règne animal, ces animaux accableraient bientôt et peut-être anéantiraient, par les suites de leur énorme multiplicité, les animaux plus organisés et plus parfaits qui composent les premières classes et les premiers ordres de ce règne, tant la différence dans les moyens et la facilité de se multiplier est grande entre les uns et les autres.

» Mais la nature a prévenu les dangereux effets de cette faculté si étendue de produire et de multiplier. Elle les a prévenus, d’une part, en bornant considérablement la durée de la vie de ces êtres si simplement organisés qui composent les dernières classes, et surtout les derniers ordres du règne animal.

» De l’autre part, elle les a prévenus, soit en rendant ces animaux la proie les uns des autres, ce qui sans cesse en réduit le nombre, soit enfin en fixant par la diversité des climats, les lieux où ils peuvent exister, et par la variété des saisons, c’est-à-dire par les influences des différents météores atmosphériques, les temps même pendant lesquels ils peuvent conserver leur existence.

» Au moyen de ces sages précautions de la nature, tout reste dans l’ordre. Les individus se multiplient, se propagent, se consument de différentes manières ; aucune espèce ne prédomine au point d’entraîner la ruine d’une autre, excepté peut-être dans les premières classes, où la multiplication des individus est lente et difficile ; et par les suites de cet état de choses, l’on conçoit qu’en général les espèces sont conservées.

» Il résulte néanmoins de cette fécondité de la nature qui s’accroît dans les êtres vivants avec la simplification de leur organisation, que les animaux sans vertèbres doivent présenter et présentent réellement la série d’animaux la plus nombreuse de celles qui existent dans la nature, quoique les animaux qui la composent soient en même temps les moins vivaces.

» Ce qu’il y a encore de bien remarquable, c’est que parmi les changements que les animaux et les végétaux opèrent sans cesse par leurs productions et leurs débris, dans l’état et la nature de la surface du globe terrestre, ce ne sont pas les plus grands animaux, les plus parfaits en organisation qui forment les plus considérables de ces changements. »