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participent des suites de toutes ces influences, se conservent et se propagent par la génération.

» L’oiseau que le besoin attire sur l’eau pour y trouver la proie qui le fait vivre, écarte les doigts de ses pieds lorsqu’il veut frapper l’eau et se mouvoir à sa surface. La peau qui unit ces doigts à leur base, contracte par là l’habitude de s’étendre. Ainsi avec le temps, les larges membranes qui unissent les doigts des canards, des oies, etc., se sont formées telles que nous le voyons.

» Mais celui que la manière de vivre habitue à se poser sur les arbres, a nécessairement à la fin les doigts des pieds étendus et conformés d’une autre manière. Ses ongles s’allongent, s’aiguisent et se courbent en crochet, pour embrasser les rameaux sur lesquels il se repose si souvent.

» De même, l’on sent que l’oiseau de rivage, qui ne se plaît point à nager, et qui cependant a besoin de s’approcher des eaux pour y trouver sa proie, sera continuellement exposé à s’enfoncer dans la vase : or, voulant faire en sorte que son corps ne plonge pas dans le liquide, il fera contracter à ses pieds l’habitude de s’étendre et de s’allonger.

» Il en résultera pour les générations de ces oiseaux qui continueront de vivre de cette manière, que les individus se trouveront élevés comme sur des échasses, sur de longues pattes nues ; c’est-à-dire, dénuées de plumes jusqu’aux cuisses et souvent au delà.

» Je pourrais ici passer en revue toutes les classes, tous les ordres, tous les genres et les espèces des animaux qui existent, et faire voir que la conformation des individus et de leurs parties, que leurs organes, leurs facultés, etc., sont entièrement le résultat des circonstances dans lesquelles la race de chaque espèce s’est trouvée assujettie par la nature.

» Je pourrais prouver que ce n’est point la forme soit du corps, soit de ses parties, qui donne lieu aux habitudes, à la manière de vivre des animaux ; mais que ce sont au contraire les habitudes, la manière de vivre et toutes les circonstances influentes qui ont avec le temps constitué la forme du corps et des parties des animaux. Avec de nouvelles formes, de nouvelles facultés ont été acquises, et peu à peu la nature est parvenue à l’état où nous la voyons actuellement.

» Il convient donc de donner la plus grande attention à cette considération importante ; d’autant plus que l’ordre que je viens simplement d’indiquer dans le règne animal, montrant évidemment une diminution graduée dans la composition de l’organisation ainsi que dans le nombre des facultés animales, fait pressentir la marche qu’a tenue la nature dans la formation de tous les êtres vivants.

» Ainsi les animaux à vertèbres, et parmi eux les mammaux, présentent un maximum dans le nombre et dans la réunion des principales facultés de l’animalité ; tandis que les animaux sans vertèbres, et surtout ceux de la dernière classe (les polypes) en offrent, comme vous le verrez, le minimum.